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LES FABLIAUX

Femme est de trop foible nature ;
De noient rit, de noient pleure ;
Femme aime et het en petit d’eure ;
Tost est ses talenz remués…

Seul un régime de terreur peut les mater (Sire Hain et dame Anieuse, le Vilain mire, la male Dame). Encore les coups ne suffisent pas, car leurs vices sont vices de nature. Elles sont essentiellement perverses : contredisantes, obstinées, lâches ; elles sont hardies au mal, capables de vengeances froides, où elles s’exposent elles-mêmes au besoin (les deux Changeurs, la Dame qui se vengea du chevalier). Elles sont curieuses du crime, affolées par le besoin de jouir, comme la hideuse Matrone d’Éphèse du xiiie siècle (comparez ces fabliaux répugnants, le Pêcheur de Pont-sur-Seine, le Fevre de Creeil, le Vallet aux douze femmes, la Femme qui servoit cent chevaliers, etc.). Est-ce pour les besoins de leurs contes gras, pour se conformer à leurs lestes données, que les trouvères ont été forcés de peindre, sans y entendre malice, leurs vicieuses héroïnes ? Non, mais bien plutôt, s’ils ont extrait ces contes licencieux, et non d’autres, de la vaste mine des histoires populaires, c’est qu’ils y voyaient d’excellentes illustrations à leurs injurieuses théories, qui préexistaient. Le mépris des femmes est la cause, et non l’effet. Cet article de foi : les femmes sont des créatures inférieures, dégradées, vicieuses par nature, — voilà la semence, le ferment de beaucoup de nos contes.

Là est, sans doute, la signification historique des fabliaux. Et ce qui toujours surprend et choque, c’est que, même en ces fabliaux violents, on sent que le poète s’amuse. Partout on y retrouve cette croyance, commune à tous au moyen âge, que rien ici-bas ne peut ni ne doit changer et que l’ordre établi, immuable, est le bon ; partout l’optimisme, la joie de vivre, un réalisme sans amertume.

À quel public s’adressaient les fabliaux. — Les fabliaux ne sauraient être considérés comme des accidents singuliers, négligeables. Il existe toute une littérature apparentée, qu’il ne nous appartient pas d’étudier ici, mais où ils tiennent leur place déterminée, comme un nombre dans une série. La moitié des œuvres du xiiie siècle, satires, dits narratifs, romans,