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LXV
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

Ebel note la relation entre le développement de la formule française : c’est moi, c’est toi qui, et les formules celtiques correspondantes. Rien d’analogue en latin ; au contraire, dans certains dialectes celtiques, le tour est si usuel qu’on ne conjugue plus sans son aide et qu’au lieu de : je mange, on en vient à dire : c’est moi qui mange[1].

On cite quelques traits encore[2], et le nombre s’en accroîtra peut-être quand l’étude de la syntaxe française et dialectale sera plus avancée. En tout cas l’élément celtique est et demeurera une quantité infime en proportion des éléments latins. Le français doit beaucoup moins au gaulois qu’à l’italien, moins surtout qu’au germanique.

L’influence germanique. — Nous avons déjà eu l’occasion de faire plusieurs fois allusion à l’invasion des barbares dans l’empire, et de dire que, si elle amena des transformations profondes et des catastrophes violentes, elle ne commença pas un monde nouveau sur les ruines de l’ancien.

En ce qui concerne la langue, nous savons de science certaine que la présence des Goths, des Bourgondions et des Francs sur le sol de la Gaule n’amena pas une nouvelle révolution ; le latin fut troublé, mais non menacé dans sa conquête. En effet, comme on l’a dit souvent, pour que l’idiome d’un peuple vainqueur se substitue à celui d’un peuple vaincu, il ne suffit pas que le premier prenne possession de la terre, il faut ou bien qu’il élimine les anciens occupants, comme cela est arrivé de nos jours en Amérique, ou bien qu’il réunisse à la supériorité militaire une supériorité intellectuelle et morale, telle que Rome l’avait montrée. Ici ni l’une ni l’autre de ces conditions ne fut remplie. Il est démontré aujourd’hui de façon évidente que les Gallo-Romains gardèrent, même dans le pays des Francs, tout

  1. Cf. la formule du v. irlandais : Ismé apastal geinte : C’est moi qui suis l’apôtre des nations (Zeuss, Gram. celt., p. 913). Il est à noter qu’en français le tour se répand assez tardivement. Si le rapprochement est exact, ce serait un bel exemple de l’influence commune d’une cause lointaine.
  2. Windisch parle de l’infinitif substantivé, Sittl de quelques tours comme qu’est-ce que, il y a quinze ans que (?). L’emploi de apud pour cum, d’où est venu notre avec, semble aussi assez particulier à la Gaule. Virgilius Maro traite de la confusion des deux prépositions. Sulpice Sévère la fait souvent (Vita Martini, 21 et ailleurs) ; les Formulæ Andecavenses, la loi Salique la présentent. Grégoire de Tours, en s’en défendant, fait la faute inverse. (Voir Geyer, dans l’Archiv. für lateinische Lexicographie, II, 26.)