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LXII
INTRODUCTION

dence l’expose peut-être à pécher d’un autre côté par une hardiesse excessive dans ses négations.

Quoi qu’il en soit, voici un certain nombre de points où des rapprochements ont été faits entre les idiomes celtiques et le roman de France.

Comme l’on sait, le français va plus loin qu’aucune langue romane dans la destruction ou l’affaiblissement des consonnes médianes. Il laisse tomber par exemple le t de dotare = douer et le g de augusto = août[1]. Or le g gaulois, au moins dans certains dialectes, était tombé dans la même position. Quant au t, plusieurs dialectes celtiques l’ont affaibli, l’irlandais l’a de bonne heure changé en th ou même laissé tomber (l’the et láa, jour). M. Windisch, à qui j’emprunte la remarque précédente, en ajoute quelques autres de même ordre[2]. Ainsi le traitement de ct latin, en portugais, en provençal et en français, a depuis longtemps attiré l’attention des philologues, comme étant très analogue à celui que le même groupe de consonnes a reçu en celtique. Il a passé à it, vraisemblablement par l’intermédiaire de cht : lactem = lachtem = lait. Le kymrique, empruntant le même mot, en fait laith. L’irlandais réduit octo à ocht (kymrique, uyth). Il est assez vraisemblable que le gaulois connaissait déjà ce cht. Une inscription écrit Luchterius = Lucterius. Il est plus remarquable encore que la substitution de ct à pt latin, qu’on constate dans captivum = cactivo = chaïtif = chétif, se retrouve dans l’irlandais qui, empruntant acceptum, en fait aicecht[3]. Encore que ces rapports et quelques autres ne soient pas si particuliers qu’on ne puisse les expliquer par les tendances générales qui dominent l’évolution phonétique des langues romanes, toujours est-il qu’ils s’expliquent plus naturellement encore, si on les attribue en France aux instincts et aux habitudes de prononciation que la langue indigène avait laissés. Ce n’est pas la seule explication possible, puisqu’il en faut donner une autre, quand les mêmes faits se retrouvent dans un domaine soustrait à l’influence du celtique, ce n’est

  1. Cf. mutare = muer, vita = vie, fata = fée, Sauconna = Saône, Rotomago = Rouen, etc.
  2. Sur tous ces points, voir le Grundriss de Gröber, I, 306-312.
  3. Thurneysen conteste ici l’influence celtique.