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LX
INTRODUCTION

écartée sans discussion[1]. Les principales raisons qui font rejeter l’hypothèse d’Ascoli sont qu’on a signalé le son ü en Portugal, et sur la côte sud de l’Italie, en outre que les Grecs l’ont transcrit ου, par exemple Λούγδουνον = Lugdunum, que l’u des noms propres en dunum, s’il est resté u dans Verdun, Liverdun, Issoudun, Embrun, est devenu o dans Lyon, Laon, enfin que le son ü ne paraît pas très ancien en celtique, ni en roman, sur bien des points où il existe aujourd’hui.

Ce n’est pas le lieu de discuter ici ces objections qui sont loin d’être irréfutables[2]. J’ai tenu à les citer, pour montrer à quel degré la science contemporaine, désireuse de réagir contre la celtomanie, est devenue difficile et scrupuleuse. Il est même à craindre, à mon sens, qu’elle ne s’égare par peur des chemins inconnus et hasardeux.

On pose en principe qu’un fait ne doit être rapporté à l’influence celtique, que s’il se retrouve dans les dialectes celtiques qui ont subsisté, s’il y est ancien, enfin s’il ne se rencontre pas dans des pays où le celtique n’a pu avoir aucune influence. Ce sont des précautions excellentes pour éviter les erreurs d’un Bullet, et ne plus s’exposer à croire emprunté au breton ce que le breton tout au contraire a pris au roman.

Mais on risque, avec cette méthode, ce qui est grave aussi, de croire la part du celtique beaucoup plus petite qu’elle ne l’est réellement. Rien de plus naturel, semble-t-il, si on ne veut s’exposer aux pires mécomptes, que d’exiger tout au moins qu’un mot, prétendu celtique, ait des correspondants dans les idiomes de même famille, tels que nous les trouvons quatre ou cinq siècles plus tard. Et cependant à quelles conclusions

  1. Voir Thurneysen, Keltoromanisches, Halle, 1884, p. 10 ; Meyer-Lubke, Grammaire des langues romanes, trad. Rabiet, I, p. 571. Cf. Ascoli, Riv. fil. class., x, 19 et suiv.
  2. Windisch a déjà fait quelques réflexions justes dans le Grundriss de Gröber, I, 306-307. On en pourrait ajouter d’autres : Les Grecs ont écrit ou, mais n’étaient-ils pas habitués à transcrire ainsi le u latin ? Il faudrait démontrer d’abord que Dion Cassius a écrit Lugdunum, tel qu’on le lui prononçait, et non tel qu’il le lisait. Rien à tirer non plus de la forme Lyon. Elle s’explique assez bien par la phonétique locale, où la présence de n influe sur u : alumen = alon, unum = on, nec unum = nigon. (Voir Nizier du Puitspelu, Dictionnaire étymologique du patois lyonnais, p. XLIII.) Et il y a d’autres arguments à donner, non pour prouver que ü existait en gaulois, et a passé de là au latin de la Gaule, ce qui paraît en effet très contestable, mais pour soutenir que ces développements postérieurs de la phonétique latine reposent sur une tendance commune aux races qui ont parlé celtique.