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Aussi, tout belliqueux qu’ils fussent, les Gaulois acceptèrent si bien la conquête, que moins d’un siècle après, 1200 hommes établis à Lyon formaient, dit-on, toutes les garnisons de l’intérieur[1], et que, après quelques révoltes sans importance, qui n’eurent jamais le caractère d’un soulèvement national, lorsque la question d’indépendance fut posée, en 70, l’assemblée plénière des cités refusa de sacrifier la « paix romaine » à l’espérance de l’affranchissement[2]. C’est qu’en réalité — l’histoire même de ces révoltes le montre — il s’agissait moins déjà d’affranchir un peuple de la domination étrangère, que de séparer en deux tronçons un État unique.

La politique romaine explique très bien comment s’obtenaient ces assimilations rapides qui étonnent de nos jours, où les résultats sont si lents. La méthode en effet était meilleure. Une fois l’empire établi, quand le pouvoir central cessa de s’appuyer sur une aristocratie exclusivement romaine ou se prétendant telle, très jalouse de ses privilèges, et ouvrit de plus en plus l’accès des honneurs et des charges aux hommes de toutes les nations, quand on n’envoya plus au dehors des proconsuls dont la fortune à réparer se refaisait impunément aux dépens des pays gouvernés par eux, la domination romaine devint pour beaucoup une grande espérance, pour tous un immense bienfait. Conserver en fait, sinon en droit, sa propriété, et avec elle ce qu’on voulait de ses croyances, de ses lois, de ses mœurs, c’est-à-dire sans aucun sacrifice des libertés auxquelles on tient le plus, celles dont on use chaque jour, à la seule condition de payer l’impôt et de fournir aux besoins de l’armée, pouvoir goûter, sous la protection d’une administration lointaine et peu tracassière, sans crainte de l’invasion étrangère, une prospérité matérielle que le défrichement du pays, le développement du commerce, l’ouverture de nouvelles communications augmentaient tous les jours, c’étaient des avantages assez réels et assez immédiats pour attacher au nouveau régime ceux dont les idées et les aspirations ne vont pas plus haut.

  1. Josèphe, Bell. jud., II, 16, 4. Il faut dire que ce chiffre est donné par un orateur qui a tout intérêt à le réduire.
  2. Un des chefs des révoltés, Sabinus, compte parmi les titres de sa famille de descendre d’un bâtard de César. D’autres portent des noms romains, les monnaies ont des légendes latines, et le symbole des légions !