Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le monde y parle français. L’apparition d’écrivains latins nés en Gaule n’est guère plus significative. Il est exact que Terentius Varron était de Narbonne, Cornélius Gallus de Fréjus, Trogue Pompée de Vaison, Votienus Montanus de Narbonne, Domitius Afer de Nîmes, encore faudrait-il savoir si tous ceux-là, et d’autres que l’on cite, n’étaient pas fils d’émigrés, et de souche latine. Toutefois nous avons ici des textes sérieux. Strabon rapporte que de son temps déjà, les Cavares — qui, il est vrai, étaient à l’avant-garde du mouvement — étaient tout Romains de langue comme de mœurs[1], et Pline trouve au pays des airs de l’Italie plutôt que d’une province : « Italia verius quam provincia. » Les découvertes modernes n’ont fait que confirmer ces témoignages. Ainsi l’extension rapide du droit de cité latine, qui ne se donnait selon toute vraisemblance qu’à des populations romanisées, montre les progrès de l’influence romaine[2] ; il y est visible que la Narbonnaise, après l’avoir subie, tendit de bonne heure à en devenir le foyer au delà des Alpes, et à jouer par rapport aux trois Gaules le rôle que la Cisalpine avait joué par rapport à la Transalpine, et que les Gaules reprirent ensuite par rapport à la Bretagne insulaire.

En ce qui concerne le reste du pays, il faudrait pouvoir distinguer encore. César nous dit qu’à son arrivée, la Gaule chevelue était divisée en trois parties : la Belgique, du Rhin à la Seine et à la Marne ; la Celtique, de là jusqu’à la Garonne ; l’Aquitaine, de la Garonne aux Pyrénées, et qu’on parlait dans ces contrées des langages différents. Il est certain que le belge et le celte n’étaient séparés que par des divergences dialectales, mais l’aquitain était une langue toute différente, d’origine ibérique. Or des destinées postérieures de cette langue nous ne savons rien, sinon que le basque, encore parlé sur les deux versants des Pyrénées, est issu d’un parler ibérique, et qu’il est enfermé aujourd’hui dans des limites beaucoup plus étroites qu’alors. On a dit qu’il avait été réimporté dans son domaine actuel par des Vascons venus d’Espagne (587 ap. J.-C). Cette conjecture, née dans

  1. Ἐπικρατεῖ δὲ τὸ τῶν Καρουάρων ὄνομα, καὶ πάντας οὕτως ἤδη προσαγορεύους τοῦς ταύτῃ βαρϐάρους, οὐδὲ βαρϐάρους ἔτι ὅντας, ἀλλὰ μετακειμένους τὸ πλεόν εἰς τὸν τῶν Ῥωμαίων τύπον καὶ τῇ γλώττῃ καὶ τοῖς βίοις, τινὰς δὲ καὶ τῇ πολιτείᾳ (IV, I, 12.)
  2. Voir Hirschfeld, Contribution à l’histoire du Droit latin, trad. Thédenat, Paris, 1880, et Mommsen, Römische Geschichte, III, 553.