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quent, où le poète chantait tandis qu’un ou plusieurs jongleurs jouaient de quelque instrument. Tout porte à croire qu’alors les instruments doublaient la voix à l’unisson. Dans plusieurs cas cela est même dit presque explicitement, comme dans l’estampie Kalenda maya de Raimbaut de Vaqueiras qui fo facha a las notas de la stampida quel joglar fasion en las violas. Mais alors on ne conçoit pas trop ce que pouvaient jouer les instruments entre les strophes, la répétition du même motif aurait été d’une monotonie accablante. L’hypothèse la plus vraisemblable selon moi est que les instruments accompagnaient le chant avec quelque note plus ou moins harmonique longuement tenue ; on aurait ainsi obtenu l’effet d’une espèce de bourdon mugissant que le moyen âge connaissait et aimait ; à la fin de chaque strophe, les instruments auraient seuls répété le motif. Mais je ne connais aucun texte sur lequel cette conjecture puisse s’appuyer sûrement.

J’ai parlé jusqu’ici du développement musical en m’appuyant surtout sur les chansons des trouvères. Dans la même période où fleurit la chanson, d’autres formes lyriques sont accompagnées de chant à une seule partie ; tels sont les pastourelles, les serventois, les jeux partis et les lais, pour laisser de côté d’autres formes comme les chants farcis et les jeux dramatiques qui sont en dehors de la poésie lyrique proprement dite. Il ne faut pas s’imaginer du reste qu’aux formes poétiques diverses aient correspondu autant de genres musicaux. La musique, tout en s’astreignant à revêtir les différents genres de strophes, conserve essentiellement la même structure[1]. Enfin la seule preuve que le texte poétique exerce encore une action véritable sur la pensée musicale est la présence du refrain parce qu’alors la coda, comme je l’ai déjà dit, devient une phrase de passage au lieu d’une large cadence finale.

Ainsi la formule initiale répétée (si les conjectures exposées au commencement de ces observations sur son origine sont

  1. Les lais cependant, dans leur forme primitive de longues narrations, rentrent dans les genres narratifs et, à ce qu’on peut conjecturer, les suivent dans la monotonie de la formule musicale courte et répétée (voir Tiersot, p. 410) ; s’ils sont en couplets, chaque strophe a la forme usuelle musicale (Wolf, Ueber die Lais… Heidelberg, 1841 ; Fétis, V, 44-52 : Lavoix, 295).