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exceptionnel, a une certaine importance ; ce plagiat montre au moins que les mélodies Provençales étaient connues et appréciées. Ces quelques observations ne suffisent pas pour nous permettre de conclure que toute mélodie artistique d’un caractère plus maniéré, plus libre de retours symétriques, plus dégagée de la tonalité, révèle par cela seul une influence méridionale. Il est possible que l’unité de direction scolastique, l’efficacité de la science musicale officielle, qui était déjà identique au Nord et au Midi, aient produit les mêmes effets dans les deux pays. Il reste cependant avéré que cette influence d’école, dans ce cas, a été beaucoup plus tôt et plus largement sentie dans l’art des troubadours que dans celui des trouvères français.

Le reproche que l’on fait ordinairement aux mélodies des trouvères est d’être monotones et uniformes[1]. Il est certain qu’elles ont toutes un air de famille qu’on découvre à première lecture ; quand on en exécute au piano un certain nombre, il vous semble souvent qu’on a déjà entendu plusieurs d’entre elles, et il faut y revenir pour s’assurer que c’est une illusion. Mais ce reproche ne serait fondé que si ces artistes avaient cherché l’originalité de la pensée musicale dans le sens tout moderne du mot ; le fait parallèle de l’uniformité de leur pensée poétique montre combien cette intention était loin d’eux. Leur but suprême n’était pas de sortir, en poésie ou en musique, du cercle resserré de leur art, mais bien de briller parmi ceux qui s’y renfermaient avec un scrupule religieux ; ils cherchaient moins à faire un tableau différent, qu’à reproduire toujours le même avec des couleurs plus brillantes. Les causes de cette disposition générale de l’esprit artistique dépassent les bornes de cette rapide esquisse ; il me suffit d’avoir indiqué le fait. Quant au reproche fait à ces mélodies d’être d’un rythme presque insaisissable et difficiles à retenir, il est très juste, mais pour nous seulement. Pour apprendre par cœur la mélodie de la complainte Fortz causa es de Gaucelm Faidit[2], j’ai dû faire de véritables efforts ; mais il semble qu’Arnaut Daniel eut moins de

    et de la Violette. Ce nom de sons poitevins, qu’on trouve dans divers textes, est encore une preuve de l’influence musicale du Midi.

  1. Voir Fétis, V, 16, et Ambros, Geschichte der Musik, II, 229.
  2. Elle se trouve dans quatre manuscrite, G, W, X, η (sigles de Bartsch). La mélodie de η est publiée par Ambros, II, 226.