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lusions aux usages contemporains dont ils sont semés, le naturel et le piquant de leur style.

Pièces de circonstances ou serventois ; chansons historiques et satiriques ; parodies. — Le moyen âge eût indifféremment qualifié de serventois les pièces historiques, satiriques, morales et religieuses dont il nous reste à parler. Parmi les premières, les seules qui aient une véritable valeur littéraire sont les chansons de croisade : les unes, comme la rotruenge anonyme inspirée par la croisade de 1147, comme une pièce, également anonyme, relative à l’expédition de 1189 (no 1967), comme celle de Conon de Béthune : Ahi, amors, com dure departie (no 1125), se distinguent par un véritable souffle religieux et guerrier, par des traits de haute et virile éloquence ; d’autres, plus voisines de la chanson d’amour, comme celle du Châtelain de Couci : A vos, amant, plus qu’a nule autre gent (no 679), par une mélancolique douceur[1]. Malheureusement la plupart ne sont que la mise en œuvre assez banale des lieux communs déjà développés à satiété par les troubadours, et avant eux par les sermonnaires. D’autres pièces sont curieuses comme documents historiques, mais n’ont pas toujours une grande valeur littéraire : telle est la chanson de Richard Cœur de Lion sur sa captivité (no 1891), celle d’un auteur incertain sur la bataille de Taillebourg (no 1835), celles de Philippe de Nanteuil et d’un de ses compagnons sur le désastre éprouvé par l’armée chrétienne en 1239 (nos 164 et 1133), celle qui fut composée à Acre en 1250, peut-être par Joinville[2] pour engager Louis IX à ne pas abandonner ses chevaliers prisonniers en Terre-Sainte (no 1887), celle enfin de Thibaut II de Bar (no 1522) sur sa captivité après la bataille de Walcheren (1250).

Il est presque superflu de dire que la satire se mêle à la plupart des pièces dont il vient d’être question. Elle est particulièrement âpre dans celles de Conon de Béthune sur les retards apportés à l’expédition de 1189 (no 1314), d’un anonyme, qui est peut-être Huon de Saint-Quentin (no 1576), sur les désastres qui

  1. Il faut signaler aussi une pièce touchante, d’une facture élégante et sobre (no 21), mise dans la bouche d’une femme (et attribuée à tort par le manuscrit de Berne à la Dame du Fayel).
  2. Voir Romania, XXII, 541. Son rythme est calqué sur celui d’une chanson du Châtelain de Couci (no 700).