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dionale que septentrionale, et forment le point d’attache de cette poésie, dont on a si souvent recherché l’origine, avec la poésie populaire. Mais ce n’est point à celle-ci que les ont empruntés les trouvères du Nord, dont les œuvres seules doivent nous occuper ici. Celles-ci reproduisent avec une fidélité scrupuleuse et certainement excessive les lieux communs, les procédés, les formules de la poésie méridionale. Elles n’offrent par conséquent qu’un intérêt assez restreint ; mais en revanche, comme il en a été conservé un très grand nombre, elles fournissent à la critique un terrain plus solide. Nous pourrons donc, dans les pages qui suivent, remplacer par la constatation de faits précis les hypothèses que nous n’avons pu éviter tant qu’il s’est agi de reconstituer l’histoire de la plus ancienne période de notre poésie lyrique.


II. — Genres subjectifs ; la poésie courtoise.


Apparition de la poésie courtoise ; première génération poétique (1150-90). — L’apparition dans la France du Nord des premières imitations de la poésie des troubadours peut être datée avec assez d’exactitude : elle remonte aux abords de l’an 1150. La chanson de croisade, dont il a déjà été question, et qui date de 1146-7, n’offre, ni dans son style ni dans sa forme rythmique, rien qui rappelle la poésie courtoise ; d’autre part nous avons un très grand nombre de pièces de trouvères courtois dont la carrière poétique dut commencer vers 1165-70, et qui eux-mêmes, nous le savons, avaient eu des prédécesseurs[1].

La génération qui paraît avoir fait le succès de la poésie courtoise et dont les trouvères et les jongleurs, vers le commencement du XIIIe siècle, regrettaient amèrement la disparition, se composait presque tout entière de personnages nés entre 1120 et 1150 : Guiot de Provins, dans un passage très curieux de sa

  1. Conon de Béthune, par exemple, parle dans une chanson bien connue de son « maître d’Oisi » ; comme il était d’âge mûr à l’époque où il la composa (1187), il faut admettre que son éducation poétique remontait à une quinzaine d’années auparavant, et celle de son « maître » (son aîné au moins de dix ans) à quelques années plus haut encore.