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Pastourelle. — La pastourelle est un genre plus complexe et plus varié : deux personnages, il est vrai, y sont seuls essentiels, mais ils s’y présentent souvent entourés d’un certain nombre de figures secondaires. L’aventure qu’elle retrace est ordinairement la rencontre d’un chevalier et d’une bergère, les propositions galantes faites à celle-ci par celui-là, et le succès très varié qu’elles obtiennent. Mais ce thème n’y est point stéréotypé, comme on l’a répété trop souvent depuis Roquefort[1], et il n’y paraît point essentiel : un certain nombre de pièces, et, parmi elles, quelques-unes des plus anciennes nous peignent simplement un dialogue entre divers personnages, dont l’un au moins est un berger ou une bergère. Une des formes primitives, si nous en jugeons d’après quelques pièces françaises et provençales fort anciennes[2] et d’après un thème fréquent encore dans notre poésie populaire, paraît avoir été un dialogue entre une bergère et un chevalier (presque toujours le poète lui-même, qui se donne pour tel), dont les prétentions sont repoussées et tournées en ridicule, parfois fort spirituellement.

Dans la contexture de ce petit drame, et dans le groupement des personnages (le chevalier, la bergère, l’ami, le fiancé, leurs compagnons ou leurs compagnes), nos poètes ont déployé une richesse d’invention, une imagination du détail vraiment surprenante ; si l’on songe que, d’autre part, les pastourelles offrent une infinie variété de formes métriques et strophiques, le plus souvent traitées avec une virtuosité qui n’a peut-être jamais été dépassée, on reconnaîtra que ce genre reste un des plus agréables de notre ancienne poésie lyrique, celui peut-être où on pourrait faire le choix le plus ample de morceaux gracieux et piquants. Une de ses variétés les plus intéressantes est celle où le poète, réduisant au strict minimum sa participation à l’action, se borne à esquisser des scènes villageoises, non point avec un exact et grossier réalisme qui eût choqué dans un genre si léger, mais avec une vérité relative, souvent assaisonnée d’une douce et familière ironie :

  1. « Qui en lit une, dit-il, en connaît mille. » Notons que nous n’en possédons guère qu’une centaine.
  2. Notamment la plus ancienne de toutes les pastourelles provençales conservées, celle de Marcabrun : L’autrier jost’una sebissa.