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le constituent même tout entier dans deux pièces (Raynaud, Bibliographie, nos 1029 et 1481), dont l’une, fort jolie, est attribuée, certainement à tort, à Gace Brulé :

Quant voi l’aube dou jor venir,
Nule rien ne doi tant haïr,
Qu’ele[1] fait de moi departir[2]
Mon ami, cui j’aim par amors.
Or ne haz rien tant com le jor
Amis, qui me depart de vos !
..........
Beaus dous amis, vos en irez :
A Dieu soit vos cors commandez !
Por Deu vos pri, ne m’oblïez :
Je n’aim nule rien tant com vos.
Or ne haz rien tant, etc.

(Bartsch, Chrest., 4e éd., col. 281.)

Quelques-unes de ces pièces offrent des détails fort gracieux et poétiques ; c’est par exemple une idée charmante, qui semble provenir de la poésie populaire, que celle de représenter les amants comme ne voulant pas croire aux avertissements que leur donne la nature et essayant de les interpréter dans le sens de leurs désirs :

Il n’est mie jors, saverose au cors gent :
Si me conseut Dieus[3], l’aloëte nos ment,

dit un refrain qui a dû être très répandu. On reconnaît là le motif que Shakespeare a immortalisé et qu’il avait probablement emprunté à quelque ballade française.

Une pièce qui n’est pas fort ancienne (no  2015) nous offre, sur un rythme vif et gracieux, un développement très mouvementé et très dramatique du même thème ; l’auteur a eu l’idée originale de mêler aux paroles des divers personnages l’imitation du son de la trompe :

« Gaite de la tor,
Gardez entor
Les murs, se Dieus vos voie ![4]
Qu’or sont a sejor[5]
Dame et seignor,
Et larron vont en proie[6]. »
« Hu et hu et hu et hu !
Je l’ai veu
La jus soz la coudroie.
Hu et hu et hu et hu !
A bien près l’ocirroie[7]. »

— « D’un douz lai d’amor
De Blancheflor,
Compains, vos chanteroie,
Ne fust la poor
Del traïtor[8]
Cui je redoteroie. »
« Hu et hu, etc. »

(Bartsch, Chrest., col. 245.)
  1. Car elle.
  2. Se séparer.
  3. Si Dieu me conseille (juron).
  4. De par Dieu.
  5. Se reposent.
  6. Vont à la maraude.
  7. Peu s’en faut que je ne le tue.
  8. Si je ne craignais le traître.