Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/495

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Malgré ces différences de détail, ces pièces sont en somme extrêmement peu variées ; en revanche elles offrent en abondance de charmants détails : toutes « ces mal mariées », qui se ressemblent tant, parlent du moins une langue très savoureuse et très variée dans ses tours, pleine d’une grâce mutine à la liberté de laquelle les entraves du rythme le plus compliqué n’enlèvent rien de son vif et gracieux naturel :

Ele dist : « Vilains, donée
Sui a vos, ce poise mi[1] ;
Mais, par la Vierge honorée,
Puis que me destraigniez si[2],
Je ferai novel ami.
A cui que voist enuiant[3],
Moi et li irons joant :
Si doublera la folie.
Ne me batez mie,
Maleuroz maris :
Vos ne m’avez pas norrie !

(Bartsch, Rom., II, 45.)


L’autrier[4] aloie pensant
A un chant
Que je fis.
Trovai dame sospirant
Et criant
A hauz cris :
S’escria
Tout ainsi, ce m’est avis
« Li jalous
Envious
De corrous
Morra.
Et li dous
Savourous
Amourous
M’avra !
Por quoi me va chastoiant[5]
Ne blasmant
Mes maris ?
Se plus me va courrouçant
Ne tençant
Li chetis[6],
Li beaus, li blons, li jolis
Si m’avra :
Li jalous…

(Bartsch, Rom., I, 51)

La monotonie du genre ne pouvait échapper même à une époque qui était loin d’être hostile aux redites : aussi chercha-t-on à en raviver quelque peu l’intérêt en y introduisant des personnages nouveaux et de nouvelles situations. Tantôt les plaintes et les récriminations de la mal mariée sont remplacées par un dialogue (souvent entre elle et le poète) sur quelques lieux communs de l’érotique courtoise ; tantôt, au lieu de mal mariées, ce

  1. Je le regrette.
  2. Me tyrannisez ainsi.
  3. Malgré ceux qui le trouveraient mauvais.
  4. L’autre jour.
  5. Réprimandant.
  6. Le misérable.