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heureux qui seras la fin de mon lignage : si tu veux être en paix et homme sage pour toutes choses, garde-toi d’artifice de femme ! Et si tu ne le crois, sens ni prouesse ni chevalerie ne te garantira que tu ne sois à la fin honni. Salomon te mande cela, pour que tu te tiennes sur tes gardes en souvenir de lui. » Il racontait ensuite comment sa femme lui avait fait construire la nef et comment la couleur des trois fuseaux était naturelle. Quant aux inscriptions de l’épée et du fourreau, elles furent gravées par les anges. Une fois terminée, la nef fut emportée par le vent en pleine mer, et Salomon ni sa femme ne la virent jamais plus.

À ce moment du récit, l’auteur revient à Nascien, qui était entré, on s’en souvient, dans la nef de Salomon. Lorsqu’il voit les fuseaux, il doute qu’ils soient d’une couleur naturelle, il soupçonne quelque fausseté et ne peut retenir une exclamation d’incrédulité. Aussitôt la nef s’entr’ouvre sous ses pieds. Il put cependant regagner la rive à la nage. Il demanda pardon à Dieu et s’endormit. Quand il se réveilla, la nef avait disparu. — Il va sans dire que, dans la partie du Lancelot en prose où est racontée la quête du Graal, Galaad rencontre la nef mystérieuse, y pénètre, et ceint l’épée que lui avait préparée Salomon.

Merlin. — Nous avons vu quelle est l’importance du Perceval et du Joseph d’Arimathie de Robert de Boron dans l’histoire du développement de la légende arthurienne. Ce poète a non seulement rattaché d’une manière définitive l’histoire merveilleuse du Saint-Graal aux romans de la Table ronde ; il a fait entrer dans le cycle de ces romans la légende de l’enchanteur Merlin, dont il trouvait les premiers éléments dans Jofroi de Monmouth. Son « Merlin » a été dérimé et remanié comme ses autres poèmes, et augmenté d’aventures nouvelles, et le Merlin a pris place, entre le Saint-Graal (issu du Joseph d’Arimathie) et le Lancelot, dans la série des grands romans en prose de la Table ronde, qui ont été longtemps attribués à Gautier Map, chapelain du roi d’Angleterre Henri II, mais qui lui sont sensiblement postérieurs. Tous ces romans étaient d’ailleurs terminés vers le milieu du XIIIe siècle, peu de temps avant l’époque où un Italien, Rusticien de Pise, le même qui écrivit la relation des voyages de Marco Polo, en fit un abrégé (comprenant le Tristan),