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Mais Méléagant, entrant ce matin-là dans la chambre, voit les traces sanglantes, et s’aperçoit que le lit du sénéchal est taché de même, car, pendant la nuit, ses plaies s’étaient rouvertes.

Lors dit : « Damë, or j’ai trouvé
Tels nouvelles que je voulais.
Il est bien vrai qu’agit en fou
Qui de femme garder se peine :
Son travail y perd et sa peine.
Contre moi vous défend mon père ;
De moi vous a-t-il bien gardée !
Mais malgré lui le sénéchal
Cette nuit vous a regardée
Et fit de vous tout son plaisir.
La chose sera bien prouvée. »

La reine, rouge de honte, répond qu’elle a saigné du nez pendant la nuit, et elle le croit en effet. Méléagant va chercher son père, lui raconte ce qu’il a vu, et le conduit dans la chambre. Bademagu n’en peut croire ses yeux. La reine déclare « qu’elle ne met pas son corps en foire », et que le sénéchal est trop loyal pour lui avoir fait pareil outrage. De son côté, Keu proteste vivement de son innocence ; il veut la prouver les armes à la main :

« Vous n’avez besoin de bataille,
Fait le roi, trop êtes malade. »

Cependant la reine mande en secret Lancelot et dit au roi qu’elle aura un chevalier qui défendra le sénéchal de cette accusation. Lancelot arrive dans la chambre, déjà pleine de chevaliers. Il apprend ce qui se passe, et déclare qu’il est prêt à la bataille pour attester l’innocence de Keu.

La suite a pour nous moins d’intérêt. Lancelot est victime de la trahison de Méléagant, qui le fait emprisonner ; mais à la fin du roman, dans la partie écrite par Godefroi de Lagni, le traître reçoit sa punition : Lancelot lui tranche la tête. Nous relèverons seulement un épisode qui se place aussitôt après le retour de la reine à la cour d’Arthur : Lancelot prend part à un tournoi, revêtu d’une armure d’emprunt, sous laquelle personne ne le reconnaît, excepté la reine qui, pour l’éprouver, lui fait dire à deux reprises de se conduire « au pis » ; et pour obéir à sa dame, en fidèle observateur des commandements de l’amour