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Mais peu de joie elle en aura,
Car belle mine ne lui fit
Ni bonne parole ne dit.
Nul n’eût osé lui dire mot.
Deux jours resta à la maison :
Entendait messe le matin,
Puis se mettait seul en chemin.
Au bois allait, à la chapelle,
Là où gisait la demoiselle.
En la pâmoison la trouvait :
Ne revenait ni respirait.
De ce lui semblait grand merveille
Qu’il la voyait blanche et vermeille :
La couleur elle ne perdait,
Hors qu’elle pâlissait un peu.
Moult angoisseusement pleurait,
Et pour son âme il priait Dieu.
Puis il rentrait à sa maison.

Sa femme le fait guetter par un écuyer, elle apprend qu’il se rend dans la chapelle de l’ermite et qu’il y pousse des cris de douleur. Elle s’y rend elle-même avec l’écuyer, pendant une visite d’Eliduc au roi.

 Quand en la chapelle est entrée
Et vit le lit de la pucelle
Qui ressemblait rose nouvelle,
La couverture elle enleva
Et vit le corps si délicat,
Les bras longs et blanches les mains,
Et les doigts grêles, longs et pleins.
Or sait-elle la vérité
Pourquoi son seigneur mène deuil.
L’écuyer elle a appelé
Et la merveille lui montra :
« Vois-tu, fait-elle, cette femme,
Qui semble gemme de beauté :
C’est l’amië de mon seigneur,
Pour qui il mène tel douleur.
Par foi, point ne m’en émerveille
Quand si belle femme est périe.
Tant par pitié, tant par amour,
Jamais n’aurai joië nul jour. »
Elle commencë à pleurer,
La jeune fille à regretter.

Elle prend une fleur vermeille[1] et la met dans la bouche de la morte. Mais voilà qu’au bout de quelques instants, celle-ci revient à elle et soupire. Elle ouvre les yeux :

« Dieu, fait-elle, que j’ai dormi ! »
Quand la dame l’ouït parler,
Se prit à remercier Dieu.
Lui demande qui elle était :
« Dame, je suis en Logres née,
Fille d’un roi de la contrée.
Moult ai aimé un chevalier,
Eliduc, le bon soudoyer.
Avec lui il m’a emmenée ;
De me tromper fit le péché !
Femme il avait, ne le me dit,
Ni jamais ne m’en pus douter.
Quand de sa femme ouïs parler,
Du deuil que j’eus je me pâmai.
Il m’a trahie, abandonnée.
Bien est folle qui homme croit !
— Belle, la dame lui répond,
Il n’est chose au monde vivante
Qui joië lui pourrait donner,
En vérité on peut le dire.
Il pense que vous soyez morte,
A merveille se déconforte,
Chaque jour vient vous regarder.
Je suis sa véritable épouse ;
Moult ai pour lui mon cœur dolent.
Le voyant mener grand douleur,
Savoir voulais où il allait.
Après lui vins, et vous trouvai.
J’ai grand joi(e) que soyez vivante.
Avec moi vous emmènerai
Et à votre ami vous rendrai.
Envers moi je le rendrai quitte,
Et je ferai voiler ma tête. »

  1. Cette fleur avait été apportée par une belette pour ressusciter sa compagne,