Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/438

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais je vous jure loyaument,
Si congé me voulez donner
Et me fixer jour de retour,
Si vous voulez que je revienne,
N’est rien sous ciel qui me retienne.
Ma vie est toute entre vos mains. »
Elle vit bien son grand amour,
Terme lui donne et fixe un jour
Pour venir et pour l’emmener.
Grand deuil eurent à se quitter,
Leurs anneaux d’or entréchangèrent
Et doucement s’entrebaisèrent.

Tous ses amis, et surtout sa femme, si belle et si sage, fêtèrent le retour d’Eliduc. Mais il était toujours pensif ; rien au monde ne pouvait le rendre joyeux, séparé qu’il était de son amie. Sa femme est désolée de sa tristesse, elle se lamente en elle-même et lui demande souvent s’il a appris que pendant son absence elle ait manqué à ses devoirs. Elle se justifiera devant ses gens quand il lui plaira : « Dame, fait-il, je n’ai contre vous aucun grief, mais j’ai juré au roi du pays où j’ai été de retourner vers lui, car il a grand besoin de moi. Si le roi mon seigneur avait la paix, je ne resterais ici huit jours de plus. Je ne puis avoir de joie, tant que je n’ai pas rempli mon engagement. »

Quand approche le moment fixé par Guilliadon, Eliduc, qui avait victorieusement défendu son roi, fait la paix avec les ennemis, et part avec des serviteurs dévoués. Il aborde loin des ports pour ne pas être vu, et envoie, sous un déguisement, son chambellan à son amie, avec mission de la ramener. Le chambellan réussit à pénétrer près d’elle et à lui faire son message. Elle est à la fois troublée et ravie, elle pleure tendrement de joie et embrasse le messager à maintes reprises. À la faveur des ombres de la nuit, elle quitte avec lui le palais de son père. Elle était vêtue d’une robe de soie à fines broderies d’or et couverte d’un manteau court. Son ami l’attendait sur la lisière d’un bois. Quand il l’aperçoit, il descend de cheval et tous les deux s’embrassent tendrement.

Sur un cheval la fit monter,
Et il monta, sa rêne prend,
Hâtivement part avec elle.

Les deux amants gagnent la rive et s’embarquent. Une tempête éclate.

Ils priënt Dieu dévotement,
Saint Nicolas et Saint Clément,
Et madame sainte Marie