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mais, comme il nous l’a commandé, nous attendons le fils que son amie a eu de lui. » En entendant ces paroles, la dame appelle son fils à haute voix :

« Beau fils, vous avez entendu
Comment Dieu nous mena ici !
C’est votre père qui ci git,
C’est ce vieillard qui l’a tué.
Maintenant vous rends son épée,
Je l’ai assez longtemps gardée ! »

Puis elle raconte aux assistants toute son aventure, et tombe morte sur la tombe. À cette vue, le fils saisit l’épée de son père, et en tranche la tête de son parâtre. L’histoire se répandit dans la cité, on ensevelit la dame avec grand honneur, et on la plaça dans la tombe, à côté de son ami. Dieu leur fasse bonne merci !

Quelle poétique conception que celle de ce chevalier mystérieux, qui aime par avance et sans réserve celle qui l’évoquera un jour, sans le connaître, dans une fervente aspiration d’amour, au moment du renouveau de la nature ! La blessure qui le tue est le symbole des réalités brutales où succombent les amours humains. Et quelle admirable figure, sous la gaucherie naïve de l’expression, que celle de la femme éperdue suivant à travers monts et vaux l’amant idéal qui lui échappe ! L’amant meurt, mais l’amour est immortel. Yonec saisit à son tour l’épée de son père ; et c’est ainsi que, depuis l’origine des choses, sans cesse recommence l’éternelle histoire d’amour. Le sujet est bien connu : c’est le conte de l’oiseau bleu, mais rarement il fut mieux conté.

Lanval. — Le lai de Lanval est l’histoire d’un chevalier qui est consolé des déboires de la vie par l’amour d’une fée. Mais il néglige une condition qui lui était imposée, et s’attire ainsi un malheur dont le délivre une nouvelle intervention de la fée.

Lanval ne devait découvrir son amour à personne, sous peine de perdre son amie pour toujours. Or, un jour, une trentaine de chevaliers de la cour d’Arthur s’étaient rendus, pour se divertir, dans un jardin situé au pied de la tour où habitait la reine, et y avaient entraîné Lanval. Aussitôt la reine fait appeler les plus courtoises et les plus belles de ses demoiselles, au nombre de