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retour d’Iseut près du roi Marc, et elle rend plus touchante la seconde partie des amours de Tristan et d’Iseut. Au moment où il semble devoir s’éteindre, quand sa cause première s’évanouit, l’amour renaît, plus volontaire, plus humain, et partant plus pathétique, au souvenir inoubliable des ardeurs de la passion fatale.

Tristan et Iseut recommencent à se voir en secret pendant les absences du roi. Un espion surprit ces rendez-vous, et alla les dénoncer aux barons félons, en offrant de les faire témoins du fait. Il suffit que l’un d’eux se rende secrètement près de la fenêtre de la reine, et avec une longue brochette de bois, aiguisée au couteau, écarte un peu le rideau. Le lendemain Iseut avait mandé Tristan près d’elle ; sur sa route, il rencontre successivement deux des traîtres rôdant dans les environs du château. L’un d’eux lui échappe, sans d’ailleurs l’apercevoir, mais il tue l’autre, et lui coupe ses tresses, qu’il met dans sa chausse pour les montrer à Iseut. Pendant ce temps, le premier félon avait pu se placer à son poste d’observation. Tristan entre chez son amie, tenant d’une main son arc et de l’autre deux flèches. Au moment où il la salue et lui montre les tresses de leur ennemi, Iseut aperçoit la tête de l’autre, derrière le rideau. « Seigneur, dit-elle à Tristan, tendez cet arc, nous verrons comment il est bandé. » Puis, tout en causant, elle met elle-même une flèche à la corde et dit à son ami : « Je vois telle chose qui me déplaît. » Tristan regarde en haut, aperçoit sur le rideau l’ombre de la tête du traître : « Ah ! Dieu ! dit-il, j’ai tiré de si beaux coups d’arc ! Permettez-moi de ne pas manquer celui-ci ! » Il se retourne, tire sa flèche et « la lui fait brandir au milieu de l’œil ». Elle traverse la cervelle :

Emerillon ni hirondelle
De moitié ne vole aussi vite.
Et si c’eût été pomme molle,
Le trait n’eût pas mieux traversé.
Il tombe et se heurte à un arbre :
Ne bouge plus ni pieds ni bras,
N’eut seulement le temps de dire :
« Je suis blessé ! »…

Ici s’arrête le fragment de Béroul. D’après le roman allemand d’Eilhart, qui suit un texte voisin de celui de Béroul, le roi Marc