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Le roi à sa chambre revient ;
Le nain, qui la chandelle tient,
Vient avec lui. Tristan faisait
Semblant comme s’il se dormait.
Sur la fleur le sang chaud parut.
Le roi vit sur le lit le sang ;
Vermeils en furent les draps blancs,
Et sur la fleur parait la trace.

Les trois félons, qui étaient entrés avec le roi, s’emparent de Tristan, qui fait bonne contenance et nie contre toute évidence : « Sire, dit-il, vous ferez de moi votre plaisir ; mais, pour Dieu ! ayez pitié de la reine. Si un homme de ta maison ose accuser la reine de t’avoir trahi, je suis prêt à défendre son innocence les armes à la main. » Il se fiait si fort en Dieu qu’il pensait bien que nul n’oserait prendre les armes contre lui. S’il avait su que le roi n’admettrait aucune forme de jugement, il aurait tué les trois félons. Ah ! Dieu ! Que ne le fit-il ?

Tristan et Iseut échappent à la mort. — Tous les gens du royaume, qui aimaient Iseut, et qui se souvenaient d’avoir été délivrés du Morhout par Tristan, supplient en vain le roi de ne pas les condanmer sans jugement. Sourd à toutes les prières, il fait préparer le bûcher, et ordonne d’y amener d’abord son neveu.

Iseut mena grand deuil quant on vint prendre son ami pour le conduire au supplice :

« Tristan, fait-elle, quel dommage
Qu’êtes lié honteusement !
Qu’on me tuât, si vous viviez,
Serait grand joië, bel ami.
De ma mort prendriez vengeance ! »

Mais écoutez, seigneurs, continue Béroul, comment Dieu est plein de pitié et ne veut pas la mort du pécheur. Il entendit les cris et les pleurs des pauvres gens. Sur le chemin qu’on faisait suivre à Tristan se trouvait une chapelle, assise au coin d’une roche qui dominait la mer à une grande hauteur. Si un écureuil avait sauté du haut de la roche, il se serait tué. Tristan demande à ceux qui le mènent de le laisser prier Dieu dans cette chapelle, qui n’a qu’une issue facile à garder. On l’y autorise, et on le dégage de ses liens. Il entre, passe vivement derrière l’autel,