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demi-page à chacun d’eux et il ne saurait résulter de cette accumulation de sèches analyses que des idées confuses et fausses, — mais en nous étendant sur un petit nombre d’œuvres caractéristiques, parmi lesquelles nous ferons, comme il convient, une part prépondérante à celles de Marie de France et de Chrétien de Troyes. Lorsqu’il s’agit d’ouvrages narratifs modernes, les remarques critiques de l’historien de littérature suppose la connaissance préalable des textes eux-mêmes ou sont une préparation à la lecture ultérieure de ces textes. Mais pour les romans du moyen âge, que les difficultés de la langue rendent inaccessibles à ceux qui n’ont pas fait d’études spéciales, nous n’avons qu’un moyen de les faire vraiment connaître, c’est d’en donner des analyses détaillées, coupées de traductions étendues qui soient, autant que faire se pourra, des transcriptions, des rajeunissements conservant l’allure et le rythme de l’original : la rime seule sera sacrifiée non sans regret, toutes les fois que, pour la reproduire il faudrait apporter au texte des changements trop considérables.


I. — Le « Tristan » de Béroul.


Parmi les romans dits bretons, ceux qui sont relatifs à Tristan méritent, mieux que les autres, cette qualification. Ils renferment un certain nombre de traits qui paraissent bien anciens, et que M. Gaston Paris a mis en évidence dans une étude récente[1].

Deux poètes anglo-normands, Béroul vers 1150, Thomas vers 1170, ont raconté l’histoire de Tristan[2] ; mais on n’a retrouvé que des fragments de ces deux romans. Le début manque, pour

  1. Tristan et Iseut, dans la « Revue de Paris » (1894). Toutefois nous ne sommes pas convaincu que l’amour même de Tristan et d’Iseut ait dans nos romans un caractère celtique.
  2. G. Sarrazin (Rom. Forsch., IV. 317-32) cherche des étymologies germaniques aux noms de Tristan et d’Iseut. W. Golther (Zeitschr. f. r. Phil., t. XII, p. 348 et suiv. et 524 et suiv.) trouve à Tristan une origine irlandaise. J. Loth (Romania, XIX. 455.) étudie les formes galloises des noms Tristan et Iseut, et fait remonter celui de Tristan à une forme ancienne, Drustagnos, peut-être picte. (Voir à ce sujet D’Arbois de Jubainville, Revue celtique, t. XV, p. 406.) Voir surtout Zimmer (Zeitschr. f. franz. Spr. u. Lit., XII, 231-256, et XIII, 1-117), et l’article de M. F. Lot dans Romania (XXV, 15-32)