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nique latine attribuée à Nennius, et au XIIe siècle dans celle de Jofroi de Monmouth, chargé d’éléments de pure imagination, qui fut plusieurs fois traduite ou imitée en français. Mais ce n’est pas dans le courant historique ou pseudo-historique que les auteurs des premiers romans courtois allèrent chercher leurs inspiration. Ils ne s’intéressaient guère aux luttes nationales des Bretons. Ils prirent simplement le nom d’Arthur, et firent de ce roi le type de la courtoisie : il lui donnèrent une cour brillante, une escorte de chevaliers parfaits, qui s’asseyaient autour d’une table ronde pour éviter les querelles de préséance, et ils s’amusèrent à raconter de belles prouesses et de belles amours. Et les types une fois créés, les nouveaux conteurs s’y conformèrent quand ils introduisirent les mêmes personnages dans de nouvelles inventions. C’est ainsi que nous retrouvons partout avec le même caractère Lancelot du Lac (ainsi appelé parce qu’il avait été élevé par la fée Vivienne, dame du lac) dont on fit l’amant de la reine Guenièvre ; l’illustre Gauvain, neveu d’Arthur et fils de roi[1] ; Ivain, fils d’Urien ; le sénéchal Ké ou Keu, qui joue les rôles plaisants ; Perceval le Gallois, etc.[2]. Même lorsque des conteurs affirment qu’ils reproduisent un récit Breton, il ne faut pas tout à fait les en croire sur parole : on sait que nos trouvères, alors même qu’ils inventent le plus visiblement, prétendent toujours puiser à des sources authentiques ; aux époques de civilisation commençante, le public adore les récits d’aventures extraordinaires, mais il a besoin qu’on lui persuade qu’elles sont arrivées.

On imagina d’introduire dans les romans arthuriens l’histoire du saint vase où Joseph d’Arimathie passait pour avoir recueilli le sang du Christ. Cette légende s’était formée autour du corps de Joseph d’Arimathie, que Charlemagne avait rapporté d’Orient, qui appartint d’abord à l’abbaye de Moyenmoutier, dans les Vosges, et qui fut ensuite enlevé par les moines de Glastonbury. Pour donner plus d’importance à leur précieuse relique, les moines créèrent une légende de Joseph, empruntée aux

  1. Les conteurs parlent toujours de Gauvain avec un respect particulier ; ils ne manquent presque jamais de l’appeler « Monseigneur Gauvain ».
  2. Il faut remarquer cependant que la reine Guenièvre nous est présentée tantôt comme fort légère dans sa conduite, tantôt comme une femme presque sans tache, tantôt enfin comme vouée tout entière à l’amour de Lancelot.