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seulement qu’au début celle qui obtint les préférences, ce fut celle qui rattachait notre langue à la grecque, dont tous étaient alors énamourés. Elle eut pour défenseurs non seulement des étymologistes obscurs et « âniers », suivant le mot sévère d’Henri Estienne, tels que Périon et Trippault[1], mais deux hommes illustres, Budé et Estienne lui-même. Quelques-uns pourtant, comme Pasquier[2] et Fauchet, ont vu très nettement le rôle du latin dans la formation de notre langue, et ils eussent été tout près de la vérité si, à l’exemple de Silvius[3], ils n’avaient plus ou moins admis qu’il s’était fait un mélange, ou, pour me servir de leur expression même, que le latin avait été greffé sur le gaulois, et que le français était sorti de cette « corruption ». Cette doctrine, beaucoup plus proche somme toute, quoique erronée, de la réalité que celle des hellénistes, rallia au XVIIe siècle la plupart de ceux qui étudièrent ce problème ou y touchèrent en passant, depuis Ménage et Bouhours jusqu’à Fénelon, malgré la tentative faite par Guichard dans son Harmonie étymologique des langues (1610) « pour démontrer par plusieurs antiquités et étymologies de toute sorte que toutes les langues sont descendues de l’hébraïque, et que la nôtre aussi en descend, quoique indirectement. »

Toutefois l’année même où paraissait ce paradoxe naissait un homme qu’un travail assidu de soixante ans, et des dispositions merveilleuse, devaient conduire à une prodigieuse érudition, et en particulier à une connaissance que personne peut-être depuis n’a possédée à ce degré, des formes que le latin a prises dans les documents et les écrits de toute sorte laissés par le moyen âge. Cet homme dont le nom mérite d’être cité parmi les

  1. Voir Joachimi Porionii Benedictini Cormœriacensi dialogorum de linguæ Gallicæ origine, ejusque cum Græca cognatione libri IV… Parisiis, apud Sebast. Nivellium, sub Ciconiis… 1555. Celt-Hellénisme ou Etymologie des mots françois tirez du grec, plus Preuves en general de la descente de nostre langue, par L. Trippault, sieur de Bardis, conseiller du Roy au siege présidial d’Orléans. Orléans, Eloy Gibier, 1581. La même doctrine fut soutenue plus tard par Dacier, Bonamy, de Maistre, et de nos jours par M. l’abbé Espagnolle.
  2. Recherches, VIII. I. Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans… Paris, Mamert Patisson, 1581, I. 13.
  3. Jacobi Sylvii Ambiani, In linguam gallicam Isagωge, Parisiis ex offic. R. Stephani. 1531, in-4o : Gallia Græcas dictiones pariter et Latinas in suum idioma fœlicitate ea transcripsit, ut nullum propè verbum sit, quod Græcis et Latinis non debeamus. Nec desunt tamen quæ Hebræis accepta referimus : sed non admodum multa (p. 10. Cf. Pref. et p. 119).