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ROMANS HISTORIQUES OU PSEUDO-HISTORIQUES

courait qu’il avait séduit sa mère Olympias et qu’il était, lui, le fruit de l’adultère[1]. Puis viennent l’épisode de Bucéphale, l’adoubement à treize ans et cinq mois et la guerre contre Nicolas, roi de Césaire[2], qui avait osé demander au roi Philippe qu’il lui payât tribut : Alexandre, après avoir créé douze pairs et confisqué les trésors des usuriers et des anciens serfs enrichis pour les distribuer à ses chevaliers, envahit la terre de Nicolas ; après une première victoire, il le tue en combat singulier, et donne le fief de Césaire à Ptolémée. Athènes, qu’Alexandre voulait conquérir uniquement parce qu’elle ne reconnaissait aucun seigneur, est sauvée par l’intervention d’Aristote[3], qui décide son élève à tourner ses armes du côté de l’Orient. Au moment où il s’éloignait de la ville, il apprend que son père a répudié Olympias pour épouser une certaine Cléopâtre, « née de Pincernie[4] ». Il accourt et, entrant dans la salle au moment où se célébraient les noces, il coupe la tête du sénéchal Jonas. Une lutte s’engage, et Philippe va frapper son fils d’un couteau, quand il trébuche et tombe au pouvoir d’Alexandre, qui se réconcilie avec lui à condition qu’il reprendra sa mère.

Laissant de côté plusieurs conquêtes énumérées dans le Pseudo-Callisthènes, l’auteur du roman passe à la guerre contre Darius, qu’il motive en faisant de ce dernier un parent de Nicolas. Darius affecte de le traiter en enfant par l’envoi de présents emblématiques (une balle, une verge, etc.), qu’Alexandre interprète à son avantage. Après une riche description de la tente du roi macédonien, on nous raconte la prise de la Roche, position très forte défendue par la mer et par un fleuve. Puis

  1. Le ms. B. N., fr. 789, offre, pour les premiers vers, une rédaction en partie spéciale, où il est dit que d’aucuns prétendaient que Nectanebus avait pris la figure d’un dragon pour séduire Olympias, ce qui amène une protestation de l’auteur (voir P. Meyer, Alexandre, II, 245 et suiv.). Le meurtre de l’enchanteur y est raconté avec détails.
  2. Ce nom est peut-être une mauvaise lecture de Acarnanum : dans le Pseudo-Callisthènes (voir § 2), Nicolas est roi d’Acarnanie. Peut-être aussi l’auteur a-t-il substitué à un nom qui ne lui disait rien un nom célèbre depuis la prise de Césarée (Césaire) par Godefroy de Bouillon en 1096.
  3. Dans le Pseudo-Callisthènes, il s’agit d’Eschine et de Démosthènes, noms moins connus au moyen âge en Occident que celui d’Aristote.
  4. Souvenir des Pincinati ou Pincenates (Petchènègues), peuple de Thrace connu en Occident depuis la première croisade. Ce nom subsiste dans le polonais pancerny, soldat avec cotte de mailles. Cf. Voltaire, Hist. de Charles XII : gendarmes polonais, que l’on distingue en houssards et pancernes. » Il est question des Pinçonarts dans le Roman de Thèbes. Voir ci-dessus, p. 177.