Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/361

Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
ROMANS HISTORIQUES OU PSEUDO-HISTORIQUES

Ces œuvres sont loin d’avoir eu la célébrité de l’Eneit, traduction en vers de l’Eneas que composa en flamand Henri de Veldeke, de 1175 à 1184, mais que nous n’avons plus aujourd’hui qu’en dialecte thuringien, œuvre de mérite qui inaugura en Allemagne la poésie courtoise et précéda de quelques années le Lied von Troye d’Herbort Fritslâr (Hesse)[1]. Enfin il faut mentionner l’Eneydos de l’infatigable imprimeur et traducteur anglais Caxton († 1491), qui dérive d’une rédaction en prose de l’Eneas. Il semble, d’ailleurs, que la popularité de Virgile et le respect qu’inspirait son chef-d’œuvre aient nui quelque peu à la propagation de l’Énéide altérée que représente l’Eneas, et les transformations du poème français sont loin d’être aussi nombreuses et aussi variées que celles du Roman de Troie[2].

II. — Romans historiques ou pseudo-historiques.

I. Roman de Jules César. — La Pharsale de Lucain a été traduite en prose, vers 1210, par un certain Jehan de Thuin (Hainaut), qui se nomme trois fois dans son œuvre, mais n’est pas autrement connu[3]. C’est la plus ancienne traduction en prose (en ne tenant pas compte de la littérature religieuse) que

  1. Voir la belle introduction de M. Behagel à son édition de l’Eneit, et Pey, L’Énéide de Henri de Veldeke et le Roman d’Eneas.
  2. Cependant les allusions qui paraissent viser l’Eneas plutôt que Virgile sont assez nombreuses et se rapportent principalement à Lavinie et surtout à Didon. Voir en particulier, pour Didon, Chrétien de Troyes, Erec et Enide, v. 5291 et suiv. ; Roman d’Alexandre, p. 517, 12 et suiv. ; Roman de la Rose, v. 14 115 et suiv. (éd. Michel) ; pour Lavinie, Erec et Enide, 5298 et suiv. ; Flore et Blancheflor, v. 490 et suiv., etc. ; pour la beauté de Lavinie, R. de la Rose, v. 21 818-9 ; Marie de France, Lai de Lanval, v. 584-6, etc. Il faut noter surtout, comme une allusion incontestable à l’Eneas, ce passage de Flamenca (v. 622-4) : L’autre comtava de Lavina, Con fes lo breu el cairel traire A la gaita del auzor caire. Cf. 619-21, où il est question de Didon abandonnée d’Énée : L’autre comtava d’Eneas E de Dido, consi remas Per lui dolenta e mesquina.
  3. Deux documents de 1277, dont la langue est semblable à celle de notre roman, mentionnent un Jean, chevalier, seigneur de Rianwez et de Montigny-le-Tilleul, avoué de Thuin, qui rend la sentence au sujet de contestations entre l’abbaye d’Alne et les habitants de Montigny (voir Suchier, Zeitschr. für rom. Phil., VI, 386). Nous serions d’autant plus porté à y voir l’auteur du César que sa qualité de clerc ne nous paraît pas suffisamment démontrée, et que sa théorie de l’amour, complaisamment développée à la fin du poème, et certaines réflexions peu platoniques à propos de Cléopâtre ne messiéraient pas dans la bouche d’un galant chevalier. Il est vrai que les exemples ne manquent pas de clercs tout aussi experts aux choses de l’amour.