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ROMANS ÉPIQUES

le poème de Benoit et offrent surtout un caractère classique, il n’en est pas de même de l’Historia destructionis Trojæ, quoique son auteur ait prétendu faire une œuvre originale. Guido delle Colonne, qu’il faut peut-être identifier, malgré les dates, avec le poète de la cour de Frédéric II, étant juge à Messine, composa en moins de trois mois la plus grande partie de son œuvre prétendue historique (sept.-nov. 1287). Il l’avait entreprise, sur l’invitation de l’archevêque de Salerne, Hugo de Porta, en 1272, puis abandonnée à la mort de son protecteur, survenue la même année, quand le premier livre était à peine terminé. Quoiqu’il ne nomme point Benoit et qu’il se réfère exclusivement à Darès et à Dictys[1], il est certain, comme le prouvent les fautes communes et l’identité des mœurs et de la mise en scène, que son livre n’est au fond qu’une traduction abrégée du poème français, avec quelques additions empruntées surtout à Virgile, à Ovide (qu’il appelle fabulosum Sulmonensem), à Isidore, etc., et des réflexions morales où se montre une grande sévérité pour la femme. Les amours de Jason et de Médée et l’épisode de Troïlus et de Briseïda, qui ne se trouvent pas dans notre Darès, mais qui pouvaient se trouver dans le Darès développé (voir p. 209), sont traités avec une complaisance frappante, et Guido y suit Benoit d’assez près. Il le suit aussi dans l’ensemble de l’œuvre et parfois dans des erreurs évidentes et dans des détails qui ne sauraient remonter à une source commune[2].

  1. Il semble n’avoir connu Dictys que par Benoit, comme le prouve son affirmation qu’il a été traduit, ainsi que Darès, par Cornelius ; mais il a connu, sinon le Darès développé, du moins notre Darès, car il en reproduit les dernières lignes et s’en sert plusieurs fois pour corriger Benoit, en particulier pour les noms propres. Il l’accuse de brièveté excessive, afin de se donner l’honneur des développements qu’il emprunte à Benoit. Il a eu, du reste, la bonne fortune, due sans doute à ce qu’il avait écrit en latin, d’être souvent cité par les nombreux historiens de Troie au xve siècle, alors que Benoit, quoique plus largement utilisé, était passé sous silence. Le moyen âge n’attachait pas grande importance à ces plagiats, et un rimailleur sans talent, Jean Malkaraume, avait pu, dès le xiiie siècle, démarquer impudemment l’œuvre de Benoit pour l’insérer dans une histoire sainte versifiée (Bibl. nat., fr. 903).
  2. L’œuvre de Guido a été traduite huit fois en italien, dont deux fois seulement sans modifications : l’une de ces deux traductions, attribuée à Filippo Ceffi, notaire florentin, imprimée à Venise en 1481, a été réimprimée plusieurs fois, en dernier lieu par M. Dello Russo, à Naples, en 1868. Nous en avons également trois traductions françaises des xve et xvie siècles, dont l’une est due à Raoul Lefèvre, l’historiographe du duc de Bourgogne Philippe le Bon, qui l’a insérée dans son Recueil des histoires de Troye (1464). Enfin on cite trois traductions allemandes des xive et xve siècles, deux espagnoles, deux flamandes, une écossaise, une bohème, une anglaise, sans parler de l’œuvre plus person-