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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

devait être naturellement porté à préférer au Grec Dictys le Troyen Darès, quand même celui-ci lui aurait offert moins de ressources ; mais il faut bien reconnaître que notre Darès ne se montre pas particulièrement favorable aux Troyens, et Benoit aurait certainement préféré Dictys, s’il n’avait eu à sa disposition un Darès développé.

4. Destinées du « Roman de Troie ». — Le Roman de Troie a eu un succès considérable, qu’attestent non seulement les 27 manuscrits complets (ou à peu près) qui nous ont été conservés, mais encore les remaniements de toute sorte qu’a subis le poème en France et à l’étranger jusqu’au commencement du xviie siècle.

Il fut mis en prose de très bonne heure, vers le troisième quart du xiiie siècle, probablement dans l’un des établissements français de la Grèce, ou du moins par un homme qui avait habité ce pays[1], et inséré à peu près tel quel, avec quelques légères additions et transpositions, dans une seconde rédaction[2] de l’Histoire ancienne jusqu’à César dont il a été question plus haut (p. 185), laquelle rédaction se distingue de la première, composée entre 1223 et 1230, par l’absence de la 1re partie (Genèse), par la substitution, pour l’histoire de Troie, du poème de Benoit mis en prose à une traduction de Darès, quinze ou seize fois moins longue, et par quelques autres différences de moindre importance[3].

Si le De bello Trojano en hexamètres de Joseph d’Exeter (ou Iscanus), composé vers 1188, et le Troïlus en vers élégiaques d’Albert, abbé de Stade (Hanovre), achevé en 1249, tous deux basés sur Darès et Dictys, n’ont qu’un rapport très éloigné, avec

  1. Romania, XIV, 67.
  2. Il y a, d’après M. P. Meyer, de bonnes raisons de croire que cette rédaction a été composée sur l’ordre de Charles V (par conséquent entre 1364 et 1380).
  3. Ajoutons que l’on possède deux traductions italiennes du roman de Troie en prose : l’une, dont il y a deux manuscrits, ajoute quelques moralités, et le début reproduit, d’après Ceffi (voir p. 215, n. 2), les quinze premiers chapitres de Guido ; puis l’auteur passe, après quelques hésitations, au roman français, qu’il suit alors exclusivement. La seconde traduction, qui nous est parvenue incomplète (La Istorietta trojana), revient en certains passages au poème, et dans d’autres a recours à des sources classiques. Une troisième rédaction, inédite, en prose italienne, due à un certain Binduccio dello Scelto, s’appuie directement sur le poème de Benoit (voir P. Meyer, loc. laud., p. 77, et Gorra, Testi inediti, p. 167). Une quatrième, anonyme, récemment signalée par M. H. Morf (Romania, XXI, 21), emprunte d’abord le prologue à Guido delle Colonne, puis suit le roman de Troie en prose, qu’il quitte peu à peu pour retourner à Guido, non sans quelques emprunts au roman, qu’il finit par reprendre et par suivre fidèlement.