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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

avec Hector, où ce dernier propose de vider la querelle par un combat singulier, provocation qui n’est pas suivie d’effet par suite de l’opposition des princes grecs, pourrait à la rigueur avoir été inspirée par Homère (Iliade, VII, 67 et suiv.) ; mais ici, c’est Ménélas, et non Achille, qui est donné comme l’adversaire d’Hector, et d’ailleurs Benoit ne saurait avoir inventé les reproches que fait Hector à Achille sur son amour pour Patrocle, reproches atténués et un peu vagues dans le manuscrit suivi par M. Joly et dans quelques autres, mais qui affectent dans les meilleurs une clarté absolument réaliste[1].

Nous passerons plus rapidement sur ce qui concerne Dictys, l’emploi qu’en a fait Benoit soulevant moins de difficultés. Le texte, bien supérieur à celui du faux Darès, est une traduction abrégée du grec faite probablement au ive siècle par un certain Septimius, qui l’a dédiée à Q. Aradius Rufinus (peut-être celui qui est mentionné par Ammien Marcellin pour l’an 363) par une lettre où il lui raconte que le texte grec, écrit sur des écorces de tilleul en caractères phéniciens, fut trouvé dans un tombeau à Gnosse à la suite d’un tremblement de terre, transcrit en caractères grecs par un certain Eupraxis[2] et offert par lui à Néron, qui le récompensa magnifiquement. Le texte grec semble avoir été composé, au second siècle de notre ère, par un Grec qui était peut-être chrétien et qui connaissait bien les œuvres des cycliques et des tragiques. Un Romain, en effet, n’aurait jamais osé, après l’immense succès de l’Énéide et à une époque où les traditions sur les origines troyennes de Rome n’étaient contestées par personne, donner à Énée le rôle de traître qu’il a dans l’Ephemeris belli Trojani[3]. Il n’aurait d’ailleurs pas eu à sa disposition, en aussi grand nombre, les sources dont disposait l’auteur de la rédaction grecque disparue[4].

  1. La référence à Darès du vers 13 011, qui en soi n’aurait pas grande importance, vient confirmer la probabilité d’un emprunt à un Darès développé.
  2. Le texte de la lettre porte Praxis : mais la véritable forme se trouve dans le prologue, où les mêmes inventions sont rapportées, avec quelques petites différences (ainsi c’est Néron qui fait traduire le précieux texte, lequel lui a été remis par le consulaire Rutilius Rufus, qui accompagnait Eupraxis à Rome), différences qui ne sauraient empêcher qu’on n’y voie l’œuvre du Dictys grec. Voir la fin du livre V, où l’auteur déclare, conformément au prologue, avoir écrit en caractères phéniciens et en langue grecque.
  3. Kœrting, loc. laud., p. 8, comprenant mal Dictys (vi, 17), prétend qu’il attribue à Énée la fondation de Coreyra Melæna : c’est bien d’Anténor qu’il s’agit.
  4. Ce Dictys grec est mentionné par Syrianos (vers 400 après J.-C.). par Suidas