Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.

au nombre de trois : le Roman de Thèbes, le Roman de Troie et l’Eneas, et ont ceci de commun, outre la ressemblance des procédés appliqués, qu’ils affectent la même forme, employant tous trois le vers de huit syllabes à rime plate, sans l’alternance de rimes masculines et féminines aujourd’hui obligatoire.

I. Roman de Thèbes. — Il existe, à notre connaissance, cinq manuscrits du Roman de Thèbes[1]. Ces cinq manuscrits offrent cette particularité vraiment curieuse qu’ils représentent quatre états différents du roman. D’autre part, aucun ne reproduit l’original, je ne dis pas dans les leçons qu’il fournit, ce qui n’a rien de surprenant, étant donné le grand nombre d’intermédiaires qu’il a dû exister entre eux et l’archétype, mais même, ce qui se présente rarement, dans les éléments variés qui composaient d’abord le poème, puisqu’ils offrent tous des additions et des lacunes : de sorte que l’édition critique qui en a été faite est un essai de restitution, non seulement des formes et des leçons primitives, mais aussi et surtout de la composition originale, autant que le permettaient les quatre rédactions disparates qui nous sont parvenues.

1. Analyse du poème[2]. — En tête de son œuvre, le trouveur anonyme a placé une moralité sur la nécessité de communiquer aux autres le savoir que l’on possède, lieu commun qu’on retrouve plus développé dans le Roman de Troie et plus tard ailleurs. Puis vient l’histoire d’Œdipe, trouvé par le roi de la ville de Phoche, Polibus, dans la forêt où l’avaient laissé, pendu par les pieds à un grand chêne, les trois serviteurs de Laius, et élevé jusqu’à quinze ans dans l’ignorance de sa véritable situation. Œdipe, appelé bâtard par ses camarades, va consulter l’oracle d’Apollon, dont il ne comprend pas la réponse, tue son père dans une rixe survenue à propos d’une partie de plomée (disque de plomb), délivre Thèbes d’un « diable » monstrueux qui désolait le pays après avoir deviné son énigme et, à la demande des barons thébains, épouse Jocaste, qui s’est bien vite éprise

  1. Ce sont les ms. de la Bibl. nat., fr. 375, 60 et 784 (= A, B, C), du Musée britannique, Add. 34114 (= S), et de Cheltenham, Bibl. Phillipps, 8384 (= P). Il faut y joindre deux fragments d’un double feuillet chacun appartenant à la bibliothèque municipale d’Angers, et dont la date reculée (fin du xiie siècle) fait vivement regretter la perte du ms. dont ils ont fait partie.
  2. Dans cette analyse, nous relevons surtout les traits par lesquels le poème se différencie de la Thébaïde de Stace.