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Guizot a dit quelque part au sujet de ces milliers de Germains qui se pressaient aux portes des baptistères : « Ils y sont entrés bandes, ils en sont sortis peuples. »

Nous dirions volontiers au sujet des héros qui figurent dans notre épopée primitive : « Ils y sont entrés Peaux-Rouges ; ils y sont devenus chevaliers. »

C’est dans nos chansons de geste que la Chevalerie trouve en réalité son expression la plus vraie, son portrait le plus authentique. Qui ne les a pas lues se prive d’une grande lumière, et elles sont parfois plus historiques que l’histoire.


IV. — Popularité universelle,
grandeur et décadence de l’épopée française.


Popularité universelle de l’épopée française. — Telle est cette épopée de la France à laquelle la France rend enfin justice. Il est trop vrai cependant, comme nous le donnions tout à l’heure à entendre, que cette équité tardive n’est pas encore unanime et que des esprits distingués s’obstinent encore parmi nous à ne faire commencer la poésie française qu’à Villon ou même à Boileau. Une sorte de réaction s’organise en ce moment contre nos poèmes nationaux, et c’est à grand’peine qu’on daigne faire parmi eux une exception bienveillante en faveur de ce Roland que l’on veut bien considérer comme un document de quelque intérêt. Mais ce qu’on ne contestera pas, mais ce qu’on ne peut contester, c’est l’irrécusable popularité de nos chansons de geste durant tout le moyen âge et au delà ; c’est surtout leur admirable et universelle diffusion dans tous les pays de l’Europe où elles ont été servilement copiées, traduites, imitées, et où elles ont fait connaître et aimer la langue française, la poésie française, l’esprit français. La France, sans avoir passé par l’humiliation d’une défaite, a alors conquis le monde occidental comme la Grèce avait conquis Rome. C’est à notre épopée surtout que nous avons dû ce triomphe pacifique, et n’eût-elle que ce mérite, elle aurait droit, sinon à l’admiration, du moins au respect de tous ceux qui pensent et écrivent en français.