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III. — Le style des Chansons de geste ;
leur physionomie religieuse, politique et morale.


Le style des chansons de geste. — Quand on entreprend d’étudier le style des chansons de geste (nous ne parlons ici que des plus anciennes et de celles seulement qui ont droit au nom d’épopées), il convient de se rappeler tout d’abord quelles sont les conditions où la véritable Épopée se produit. Elle est, comme on l’a vu, précédée de rondes populaires, de complaintes ou de péans qui sont chantés et dansés par tout un peuple et dont les auteurs restent toujours inconnus. L’Épopée, qui naît de ces chants, participe de leur nature. Elle est traditionnelle, elle est nationale, elle est anonyme. C’est moins une œuvre d’art qu’un produit du sol. Il ne faut pas se représenter nos premiers épiques comme des poètes de bureau ciselant leurs épithètes, songeant de loin à leur trait de la fin, élaborant consciencieusement la disposition de leurs mots et la sonorité de leurs rimes. Ils n’ont rien de commun avec l’incomparable génie d’un Virgile ou d’un Dante : ils sont « naturels ».

Nous prononcions tout à l’heure ce mot « national » : c’est la meilleure qualification qui convienne au style de nos premières chansons. Il ne faudrait pas s’imaginer que l’auteur du Roland ait trouvé le style de son poème, et je me persuade que toutes les chansons des Xe et XIe siècles avaient à peu près le même agencement, le même caractère. Cette forme spéciale, cette prosodie, cette poésie ont eu en même temps leur éclosion sur toutes les lèvres de la nation. Sans doute l’auteur du Roland y a ajouté les inventions de son beau tempérament de poète ; il a groupé et entrelacé les épisodes de son poème avec un art qu’on ne saurait méconnaître ; il y a laissé enfin les traces d’une certaine personnalité, qui était très haute. Il en a été de même pour le Girard de Roussillon et pour quelques autres de nos premiers romans. Mais véritablement, c’est là tout ce qu’on peut concéder, et il ne faudrait pas aller plus loin. La dominante de ce style est véritablement nationale. De telles chansons sont en quelque manière