Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/247

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Que nos chansons de geste aient été véritablement chantées[1] (et non pas lues ou déclamées), leur nom le prouve et suffirait à le prouver[2]. Mais quel était ce chant ou plutôt cette mélopée ? C’est ce qu’il nous est donné de soupçonner plutôt que de connaître. Ce devait être un récitatif très simple qui était le même pour toutes les strophes et qui, dans chaque strophe, devait aussi être le même pour tous les vers à l’exception du premier et quelquefois du dernier[3]. Ce récitatif, nous en avons l’assurance, était soutenu par un accompagnement de violon ou de vielle et cet accompagnement n’était pas sans doute plus compliqué que le chant lui-même. J’imagine encore qu’entre chaque couplet, le jongleur exécutait une ritournelle fort brève[4] qui devait servir en même temps de prélude et qui correspondait à l’ohé à l’aoi de la Chanson de Roland. Somme toute, nous ne possédons guère d’autre document (c’est bien peu) que le manuscrit de ce délicieux petit poème, Aucassin et Nicolette, « où les laisses monorimes qui alternent avec des morceaux en prose sont accompagnées de musique »[5]. Or le premier vers de chacune de ces laisses est sur un air et le second sur un autre. Gaston Paris à qui nous devons cette remarque[6] conclut avec raison que tous les vers impairs se chantaient comme le premier, et tous les vers pairs comme le second[7]. Le dernier vers de chaque cou-

  1. Elles étaient chantées par les jongleurs. Les jongleurs, qui sont d’origine romaine, étaient divisés en un certain nombre de groupes (jongleurs musiciens, jongleurs saltimbanques, etc.). Le plus respecté de tous ces groupes, le seul dont l’Église approuvât la fonction, était celui des jongleurs qui chantaient notre épopée, des « jongleurs de geste ». Ils s’accompagnaient, en chantant nos couplets épiques, avec un instrument nommé vielle, qui correspondait à notre violon, mais qui était de dimensions plus considérables et muni d’un archet beaucoup plus recourbé que le nôtre. Voir les textes sur les jongleurs que nous avons accumulés dans le tome II des Épopées françaises (p. l-220).
  2. On « déclamait » jusqu’aux chroniques comme le Ménestrel de Reims (Nyrop, l. c, p. 206).
  3. Gaston Paris, Chanson de Roland, p. viii.
  4. Voir le texte de Horn, cité par Nyrop, l. c, p. 285.
  5. Romania, XIII, p. 620.
  6. La Littérature française au moyen âge, p. 39.
  7. Voici la notation des deux premiers vers d’Aucassin :