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malbaillis. Ce sont là des exceptions. Le véritable décasyllabe français est celui du Roland qui, vainqueur, a traversé les siècles. C’est le cas de protester ici contre tous les essais prétendus rythmiques de ces décadents contemporains qui lancent dans la circulation de prétendus vers de neuf, de onze, de treize ou de quatorze pieds et qui regardent l’antique césure comme une mauvaise plaisanterie. Il y a plus de huit cents ans que nos vers classiques sont sortis du génie national sans qu’on puisse nommer celui qui les a inventés. Ils sont l’expression de ce génie, et il n’y a jamais eu, il n’y a pas, il n’y aura jamais, en dehors de ces rythmes vraiment français, que des essais puérils et des hardiesses infécondes.

Après le vers, le couplet épique.

Ce couplet s’appelait jadis une laisse. Toute chanson de geste se compose d’un certain nombre de ces laisses, et chacune de ces strophes est formée d’un nombre de vers qui a toujours varié. Depuis cinq vers jusqu’à cinq cents, et au delà. On sait d’ailleurs le lien qui unissait entre eux les vers d’un même couplet : c’était à l’origine la même assonance, et ce fut plus tard la même rime. Le couplet est donc, suivant les temps, « monoassonancé » ou monorime.

On a dépensé beaucoup d’encre à disserter sur l’origine de ces laisses, et l’on s’est particulièrement demandé si, par hasard, à l’origine, elles n’auraient pas été « limitées », c’est-à-dire composées uniformément d’un même nombre de vers. Il faut avouer que les documents font absolument défaut et qu’on en est réduit aux hypothèses. Les plus anciens couplets épiques (c’est peut-être la supposition la plus raisonnable) ont peut-être ressemblé aux strophes très régulières de ce Saint Alexis qui est une petite chanson de geste de l’ordre religieux. Mais de bonne heure notre épopée aura étouffé dans cette prison et se sera donné carrière.

Le début et la finale des laisses épiques méritent tout spécialement d’attirer l’attention. Le début est généralement ex abrupto, et le premier vers de chaque couplet ressemble plus ou moins au commencement d’un nouveau poème. Un tel procédé, comme on l’a déjà fait remarquer, peut se justifier de plus d’une façon. Les jongleurs qui chantaient nos romans ne les chantaient certes pas d’un bout à l’autre et se permettaient de