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types achevés de ces manuscrits qui offrent une véritable unité et nous donnent l’idée, comme nous l’avons dit, d’un seul poème divisé en plusieurs chants.

Le talent des enlumineurs ne s’est pas, avant le XVe siècle, révélé, avec un grand éclat, dans les manuscrits de nos chansons de geste. Nous avons eu l’occasion d’entreprendre naguères une table des miniatures qui ornent les textes épiques du xiiie siècle[1] et n’y avons guère relevé que des œuvres plus intéressantes que belles. Il faut arriver à l’époque brillante où s’est exercée l’influence des ducs de Bourgogne pour avoir à admirer sans réserve une illustration vraiment artistique, mais dont on a trop souvent réservé la parure délicate à nos plus détestables traductions en prose[2]. Tout ce qu’on rencontre dans les manuscrits du siècle de saint Louis, ce sont ces jolies petites lettrines rouges à antennes bleues, ou bleues à antennes rouges, qui indiquent le commencement de chaque laisse et qui sont, comme on le sait, le caractère spécial de cette époque.

Ouvrons maintenant nos manuscrits en n’ayant plus souci de leur laideur ou de leur beauté extérieure : allons plus avant, et lisons-les.

« En quelle langue sont-ils écrits ? » Cette question, qui paraît si simple, en soulève d’autres qui sont d’une haute importance. C’est chose connue que la presque totalité de nos chansons ont été chantées et écrites en français ; mais il y aura à établir un jour la statistique exacte des dialectes (si l’on admet toutefois qu’il y ait jamais eu des dialectes) entre lesquels se partagent nos manuscrits épiques. Une autre étude plus abstraite et qui demande l’effort d’un véritable historien, c’est celle qui consiste à déterminer quelle a été « la région de l’épopée française ». Nous voulons bien admettre, quoique avec une certaine réserve, l’opinion de Rajna affirmant que le « domaine originaire de cette épopée a été la France propre et la Bourgogne, et que du fond de ce double berceau elle a rayonné tout à l’entour ». C’est fort bien, mais il conviendrait peut-être

  1. Voir notamment les manuscrits de la Bibliothèque Nationale fr. 368, 774, 1448, 1449, 24369 ; Boulogne-sur-Mer, 192 ; British Museum, Bibl. Roy., 20, B XIX et 20 D XI, etc.
  2. Cf. surtout, comme type de ces beaux manuscrits, les Quatre fils Aimon de la Bibliothèque de l’Arsenal, 5072-5075.