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foncièrement laïque et qu’elle n’a rien de « clérical », au sens rigoureux de ce mot.

Les dates ont leur éloquence, et il est aisé, d’après notre tableau, de se rendre un compte exact de la durée de notre évolution épique. Elle est enfermée entre le Xe et le XVe siècle. J’imagine qu’on a composé peu de chansons avant l’an 900, et ils sont bien rares les très médiocres ouvrages que l’on peut signaler après 1400. Pour parler plus net, c’est entre la Chanson de Roland du XIe siècle, et la Chronique de Bertrand Duguesclin, du xive, qu’il faut fixer les termes extrêmes de notre production épique. C’est le XIe siècle qui a été assurément la plus belle période de notre épopée ; c’est le XIIe siècle qui a été probablement la plus féconde, et l’on ne semble pas trop éloigné de la vérité, en affirmant que depuis le règne de Louis VII nous n’avons guère plus affaire qu’à des remaniements, à des « refaçons » de nos vieux poèmes.

La monomanie cyclique, que nous avons jugée plus haut et qui est clairement attestée par notre tableau, est sans doute un symptôme de décadence ; mais il y eut pire encore, et l’heure vint où l’on composa des poèmes qu’on ne peut raisonnablement rattacher à aucun des cycles existants. C’est ce qui nous a mis dans l’obligation de créer une catégorie spéciale pour ces poèmes isolés dont la plupart appartiennent au XIVe siècle et que nous n’avons osé faire rentrer dans aucune combinaison cyclique. Tels sont Ciperis de Vignevaux et Florence de Rome.

C’est à dessein que nous avons rejeté dans une dernière subdivision nos « derniers poèmes en laisses monorimes ». Il est dur, quand on a débuté par une Chanson de Roland, de finir par une Geste de Liége. Notre pauvre épopée n’a pas eu un beau trépas.

Caractères généraux des chansons de geste : manuscrits, langue, versification, musique. — Notre plan ici sera des plus simples. Nous commencerons par les caractères de nos chansons qui sont le plus « en dehors » pour arriver aux plus intimes. Nous en étudierons la forme avant le fond. Nos regards s’arrêteront d’abord sur les manuscrits qui les renferment, et nous finirons par mettre en lumière les idées qu’elles expriment.