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d’Orange n’est pas matériellement séparée du Charroi de Nimes qui est cependant bien plus ancien. Il en est ainsi de plusieurs autres poèmes du même cycle, et cette geste est celle à coup sûr qui a donné lieu au plus grand nombre de manuscrits véritablement épiques. Mais il ne faudrait pas ici aller trop loin, et le cycle de Guillaume lui-même n’a pas entièrement échappé au système de l’enrégimentation forcée. On y a introduit de véritables romans absolument fantaisistes comme le Siège de Narbonne et la Prise de Cordres : on y a surtout ajouté certains de ces poèmes qui ont pour objet les pères et les grands-pères des héros, comme les Enfances Garin qui sont probablement une œuvre du XVe siècle, et comme ce Garin de Montglane lui-même qui est antérieur aux Enfances d’environ deux cents ans, mais qui n’en est pas moins une œuvre de décadence.

Somme toute, ce classement à outrance qui est devenu une véritable maladie littéraire à laquelle nous avons donné le nom de « monomanie cyclique », cette sorte d’affolement n’a rien de naturel ni de primitif. Il importe de le répéter.

Ce n’est certes pas durant le premier âge de notre épopée que les jongleurs, avides d’accroître et de varier leur répertoire, auraient eu l’idée de consacrer de nouveaux poèmes, tels que Berte et Hervis de Metz, aux aïeux peu primitifs de leur héros central. C’est plus tard seulement que ces alluvions sont venues (si l’on veut bien accepter cette image) s’agréger au noyau primordial.

C’est plus tard qu’étant donné un premier thème, un thème historique comme Antioche et Jérusalem, on n’a pas hésité à l’entourer d’une enveloppe fabuleuse comme Helias, comme les Enfances Godefroi comme les Chetifs. Le fait est constant, et le même travail s’est opéré sur ces grands événements centraux qui s’appellent de ces noms superbes « Roncevaux » ou « Aliscans ».

C’est plus tard qu’on s’est plu à gratifier nos anciens poèmes de préfaces étranges et de compléments inattendus, et nous ne saurions citer un exemple plus frappant d’un procédé aussi singulier que cet Huon de Bordeaux auquel on a, un jour, imposé comme prologue le ridicule Roman d’Auberon et qui est, dès le XIIIe siècle, accompagné de quatre ou cinq Suites comme Esclarmonde, Clairette, Ide et Olive et Godin. C’est encore plus tard qu’on a affublé nos vieilles gestes de « queues » grotesques,