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terait d’être à côté de Roland, si le héros y était plus pur et les passions plus nobles ; de là, les petites gestes de Blaives et de Saint-Gilles, qui nous offrent à la fois des œuvres fortes, telles qu’Amis et Amiles, et des œuvres d’une tonalité moins violente et presque aimable, telles qu’Aiol. Et c’est ici qu’il conviendrait de réserver une place d’honneur à cette chanson d’origine évidemment mérovingienne, à Floovant. On ne lui a pas, jusqu’ici, donné le rang dont elle est digne.

Ce n’est pas tout, et l’ère des cycles n’est pas encore fermée. Vers la fin de ce même siècle qui nous a laissé le Roland, on voit tout à coup se produire un des plus grands mouvements humains que l’histoire ait jamais eu à raconter. Il ne s’agit plus en effet d’une province, ni d’une région, ni même d’un peuple : c’est tout l’Occident chrétien qui se précipite en furie sur tout l’Orient musulman ; ce sont des cent milliers de petites gens qui se jettent sur l’Islam inconnu ; ce sont ces naïfs et ces croyants qui, dans leur douloureux passage à travers toute l’Europe, s’imaginent chaque jour être parvenus à Jérusalem et qui, les pauvrets ! meurent en chemin ; ce sont surtout ces milliers de chevaliers qui, mieux disciplinés et tout emmaillés de fer, se mettent en marche vers le sépulcre du Christ et finissent par l’affranchir. Ce sont les Croisades enfin, et c’est surtout la première de ces expéditions d’outre-mer. Si l’on veut bien y réfléchir un instant, on estimera qu’il était impossible que de tels événements auxquels on ne saurait peut-être rien comparer dans l’histoire du monde, ne devinssent pas l’objet d’un nouveau cycle épique. On voit alors revenir de Terre sainte des chevaliers qui racontent, encore tout émus, mille aventures plus ou moins réelles, plus ou moins embellies. Certains poètes les écoutent et utilisent ces récits qu’ils combinent tellement quellement avec des chroniques latines pour en composer de nouveaux romans appelés à un immense, à un immortel succès.

C’est le cycle de la Croisade ; c’est le dernier de tous nos cycles…

La première formation de nos gestes épiques avait offert ce caractère d’être naturelle, spontanée, vivante. Elle n’avait eu rien de théorique, ni de philosophique : elle était sortie enfin des faits eux-mêmes et était, pour ainsi parler, inévitable. Mais