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avant cette année 1099 qu’a illustrée pour toujours la prise de la ville sainte par Godefroy de Bouillon. On le chantait déjà et il circulait partout, vibrant et populaire, avant la prédication de la croisade, avant les premiers commencements de la grande expédition d’Outre-mer[1].

Il n’est pas moins utile de savoir où il a été composé. Aujourd’hui, tout aussi vivement qu’il y a vingt-cinq ans, nous nous persuadons que le Roland a été écrit dans la région où l’on honorait d’un culte spécial l’apparition de l’archange Michel à saint Aubert, onzième évêque d’Avranches. Cette apparition eut lieu en 708 et, sur la demande expresse de l’Archange, saint Aubert éleva une église en son honneur sur le sommet du Mont, in monte Tumba. Ce fut le fameux sanctuaire du Mont Saint-Michel qui fut plus tard, durant la guerre de Cent ans, le dernier boulevard de la patrie française.

Cette apparition de l’Archange, cette construction d’une église en un lieu si saint et si beau, ce pèlerinage qui fut de bonne heure si fameux, donnèrent lieu à une fête spéciale qui se célébrait le 16 octobre.

Donc, tandis que le reste de la catholicité continuait à solenniser la fête de saint Michel le 29 septembre, il y eut toute une région de notre cher pays de France qui, sans négliger cette grande fête de l’Église universelle, donnait peut-être plus d’importance encore à la fête sancti Michaelis in periculo maris, à la fête du 16 octobre. Cette région, on la connaît, et cette solennité, comme le dit Mabillon[2], était célébrée dans toute la seconde Lyonnaise, dans un nombre considérable d’autres églises et jusqu’en Angleterre.

Or, dans notre Roland, il n’est question que de la fête du 16 octobre. C’est le 16 octobre, chose étrange, que l’empereur

  1. « Le poète nous parle quelque part du païen Valdabrun qui possède quatre cents vaisseaux et, pour peindre ce misérable en quelques mots, il ajoute : « Jérusalem prist ja par traïsun ; — Si violat le temple Salemun » (vers 1524, 1525). Or, en 1012, le kalife Hakem persécuta les chrétiens de la Terre sainte et fit crever les yeux aux Patriarche. De tels faits, et surtout le dernier, durent avoir un grand retentissement en Europe où ils furent exagérés en raison de la distance ? N’est-ce pas l’écho plus ou moins lointain de ces cris que l’on entend encore dans la Chanson de Roland ! » Voir notre 1re édition du vieux poème, t. i p. lxii, lxiii.) Il convient d’ajouter que les Turcs s’emparèrent de Jérusalem en 1076 ; mais ils ne firent aucun mal aux chrétiens.
  2. Annales Ordinis sancti Benedicti, lib. xix.