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C’est notre Roland, c’est la plus ancienne chanson de geste qui soit parvenue jusqu’à nous. L’Epopée française existe.

La Chanson de Roland. — La Chanson de Roland, telle que nous la possédons aujourd’hui, n’est certainement pas la première qu’on ait consacrée au héros qui mourut le 15 août 778 dans un obscur défilé des Pyrénées et dont la gloire a depuis lors été œcuménique.

Il semble tout d’abord évident que de nombreuses, de très nombreuses cantilènes ont eu pour objet ce désastre de Roncevaux qui rendit soucieux le front de Charlemagne. Nous savons, d’après le texte irrécusable de la Vita sancti Willelmi, que des chants de ce genre ont été plus tard provoqués par les hauts faits de cet illustre comte Guillaume que les Sarrasins, en 793, attaquèrent et vainquirent à Villedaigne. Si populaire et si victorieuse qu’ait été cette déroute, elle ne produisit pas, elle ne pouvait produire un rayonnement de poésie qui fût comparable au désastre de Roncevaux.

Mais enfin les temps de la véritable épopée sont venus, et l’on comprendra sans peine qu’un héros tel que Roland a dû fatalement inspirer plus d’une chanson de geste. D’une centaine de complaintes et de rondes quatre ou cinq de ces chansons ont pu sortir. Une telle hypothèse n’a rien d’excessif.

Parmi ceux de ces poèmes qui ont disparu et qu’on a essayé de reconstruire, le plus ancien (on peut le supposer du Xe ou du XIe siècle) nous a peut-être été conservé dans la fameuse Chronique de Turpin. C’est l’honneur de la critique contemporaine de n’avoir point dédaigné cette œuvre médiocre et que l’on considérait naguère comme un produit exclusivement clérical ; c’est surtout son honneur d’avoir reconstitué avec elle un autre Roland qui est sans doute antérieur au nôtre.

Mais le faux Turpin n’est pas le seul document où la sagacité des érudits modernes a découvert les traces d’une version antérieure du Roland. Un fort méchant poème latin « en distiques obscurs et contournés », le Carmen de proditione Guenonis, a été l’objet d’une restitution aussi solide et aussi intéressante. Le Turpin et le Carmen peuvent d’ailleurs être exactement attribués à la même date : ils ont été l’un et l’autre composés « un peu avant le milieu du XIIe siècle » ; mais ils reproduisent