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Garnier de Pont-Sainte-Maxence, né dans cette petite ville de l’Île-de-France, aux confins de la Picardie, ne nous est connu que par son œuvre, et les rares témoignages qu’elle renferme sur sa personne. Quoique clerc, il mena la vie de beaucoup de trouvères laïques ; errant d’abbaye en abbaye, en France et en Angleterre ; tantôt bien, tantôt mal accueilli ; tantôt riche, tantôt misérable. Impitoyable censeur des mœurs de son temps ; sévère aux rois qu’il accuse d’empiéter sur les droits de l’Église ; et plus sévère encore aux prélats, qui lui semblent prêts à pactiser avec les rois ; son franc parler lui fit sans doute beaucoup d’ennemis, et beaucoup d’admirateurs. Lorsqu’au jour de Noël 1170, Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, fut massacré devant l’autel, dans sa cathédrale, par quatre meurtriers qui se couvraient du consentement, au moins tacite, du roi Henri II, ce tragique événement causa dans l’Europe entière une émotion profonde. Garnier, qui avait connu l’archevêque en France, pendant son exil, et qui avait admiré, avec une sorte d’enthousiasme, l’énergie de sa résistance contre le pouvoir royal, voulut écrire la vie de celui que l’Église et le peuple proclamaient un martyr. Peu satisfait d’un premier essai, il passa en Angleterre, et y commença une enquête approfondie sur toute l’histoire de Thomas Becket. Il interrogea tous les témoins de sa vie ; en particulier l’abbesse sœur de l’archevêque. Il visita les lieux où Thomas avait vécu, ou passé ; il consulta les actes officiels et les récits qui commençaient à circuler, nombreux et contradictoires, sur la vie du saint. Au siècle suivant, Froissart devait composer sa chronique par les mêmes procédés d’information, sur les témoignages vivants et immédiats, mais recueillis peut-être avec moins de soin et de patience.

Au bout de trois ans, Garnier eut achevé son poème : il le récita publiquement, devant le tombeau du saint, aux milliers de pèlerins qui de toutes les parties de l’Angleterre et de la France accouraient pour toucher ses reliques. La langue française était si répandue en Angleterre au XIIe siècle, que beaucoup d’Anglais, sans parler des Normands, pouvaient goûter le charme de cette poésie vivante, où respiraient toutes les passions du jour. Le 12 juillet 1174, Henri II, nu-pieds et dépouillé du vêtement royal, était venu faire pénitence et recevoir les coups de