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saints, même illustres et vénérés, n’ont jamais été célébrés par la poésie populaire. Il y a toujours une certaine part de caprice et de hasard dans ces faveurs de la poésie. Pourquoi Roland est-il devenu le héros d’un développement épique intarissable, alors que tant de preux beaucoup plus célèbres dans l’histoire sont oubliés dans la poésie ?

La plupart des vies de saints en vers français sont en vers de huit syllabes, à rimes plates ; au moyen âge, c’est le rythme préféré des romans bretons, des fabliaux, de la poésie narrative en général, hors les chansons de geste, qui ont adopté un rythme plus solennel. Celui-ci est aisé, coulant, léger, un peu effacé, un peu monotone, par sa facilité même ; on le supporte et même on le goûte assez dans les fabliaux qui sont brefs. Dans les longs poèmes il devient ennuyeux. Nos vies de saints n’ont aucune longueur déterminée ; les plus courtes ont quelques centaines de vers ; les plus étendues dépassent dix mille vers.

D’autres rythmes ont servi aux auteurs des vies de saints. Les plus anciens semblent avoir préféré les couplets réguliers, à une seule assonance ou à une seule rime. Sainte Eulalie est en couplets de deux vers ; Saint Léger en couplets de six ; Saint Alexis, Saint Thomas Becket (par Garnier) en couplets de cinq ; Sainte Thaïs en couplets de quatre ; Sainte Euphrosyne en couplets de dix. La longueur des vers varie : vers de huit syllabes dans Saint Léger, de dix dans Saint Alexis, de douze dans Saint Thomas, Sainte Thaïs, Sainte Euphrosyne, Saint Jean l’Évangéliste. La Bibliothèque de l’Arsenal possède une rédaction interpolée de Sainte Euphrosyne où l’égalité des couplets a disparu. Qui sait si telle chanson de geste, à laisses inégales, n’est pas ainsi une rédaction interpolée d’un texte primitif à couplets uniformes ? Car tel fut certainement le cadre primitif de la poésie en France.

On peut partager les vies de saints rimées en trois groupes principaux, et reconnaître dans chaque groupe un caractère saillant qui, sans lui être exclusivement propre, y domine toutefois. Le premier groupe est celui des saints nationaux, qui ont vécu en France au temps des rois mérovingiens ou carolingiens, dont la mémoire populaire a conservé le souvenir et dont la piété populaire vénère les tombeaux. Tel fut saint