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Il est absolument invraisemblable qu’un intérêt grossier, lucratif ait seul inspiré les poètes, qui racontaient la vie des saints. La plupart eurent un but plus noble que les profits de leur couvent ; ils croyaient, ils voulaient édifier les âmes, et faire imiter les saints en les célébrant. Ce désir d’édifier pouvait même les égarer quelquefois ; la fin justifiait les moyens. Tout paraissait assez vrai pourvu qu’il fût de bon exemple. On voulait lutter contre la popularité des récits profanes et, pour y réussir, on imitait leurs procédés, avec des intentions différentes. Combien de fois n’a-t-on pas opposé les aventures des saints à celles des preux et des chevaliers !

S’avès oï asez souvent
Les romans de diverse gent,
Et des mençonges de cest monde,
Et de la grant Table Roonde,
Que li rois Artus maintenoit,
Ou point de vérité n’avoit[1].

Mais pour lutter contre ces romans profanes, on écrivit des romans religieux : et les fameux voyages de saint Brendan ne diffèrent pas beaucoup au fond des voyages de Perceval. Des deux côtés, à peu près mêmes défauts et mêmes agréments. Quelquefois les auteurs aussi furent les mêmes, dans ces deux genres moins différents qu’ils ne paraissaient. André de Coutances, qui mit en vers, non sans élégance, l’Évangile de Nicodème au commencement du XIIIe siècle, avoue (au début de son poème) qu’il a longtemps goûté la poésie profane, et que c’est seulement l’âge qui l’avertit de donner à Dieu au moins ses derniers vers :

Seignors, mestre André de Coutances
Qu’a mout amé sonez et dances,
Vos mande qu’il n’en a mès cure,
Quer son aage, qui maüre,
Le semont d’aucun bien traitier
Qui doie plere et profitier.

Ainsi, au XVIe siècle, au XVIIe, nous eûmes quantité de traductions des Psaumes en vers par des poètes pénitents. Les pre-

  1. Évangiles de l’Enfance.