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2o Les vies des saints, depuis les apôtres et leurs disciples jusqu’aux saints les plus récents, jusqu’à des contemporains, comme saint Thomas Becket et saint Dominique ;

3o Les récits de miracles ou de faveurs extraordinaires obtenus par l’intercession des saints, et surtout de Notre-Dame. Ce genre se lie au précédent, mais il s’en distingue par une variété plus grande encore des lieux, des temps, des personnages ; n’y ayant aucun pays, aucun état qui ne crût avoir été gratifié de faveurs miraculeuses. Ce sont ces récits qui forment le genre appelé contes dévots ou contes pieux dans la littérature du moyen âge.

Des trois branches, la moins féconde est la première. La Bible fut plusieurs fois traduite au moyen âge en français, en prose et en vers, partiellement ou intégralement ; mais ces traductions qui intéressent l’histoire de la langue et celle de l’exégèse, n’intéressent pas la littérature. Les traductions des évangiles canoniques sont peu nombreuses, et, n’offrant rien d’original, quant au fond, n’ont guère non plus de valeur de forme.

Un poème sur la Passion, en vers de huit syllabes, rimant deux par deux, et disposé en quatrains, remonte au Xe siècle ; mais le mélange des formes méridionales et des formes françaises ne permet pas qu’on le considère comme appartenant vraiment à la langue d’oïl[1].

On serait tenté de croire que la Bible mise en vers était exclusivement débitée au peuple par des clercs, et dans l’église ; il n’en est rien, et, quelque danger que le clergé pût trouver à livrer le texte sacré à des mains populaires, il est certain que la Bible rimée faisait partie du répertoire des jongleurs, aussi bien que les chansons de geste, et dans les mêmes conditions. L’un d’eux interrompt ainsi le pieux récit pour faire appel à la générosité des auditeurs, rassemblés autour de lui :

Del son me done qui mès voldrat oïr[2].

Ailleurs il menace de s’arrêter, si on ne l’encourage en mettant la main à la poche :

Sanz bon luer ne voil avant rien dire[3].

  1. Voir ci-dessus, page 6, note 2.
  2. « Du sien me donne qui plus voudra ouïr. »
  3. Bulletin de la Société des anciens textes, 1889, p. 76, 77.