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La légende latine était muette sur la réunion céleste des deux époux. Ce raffinement de tendresse mystique est une invention du trouvère.

Cet admirable poème fut gâté de diverses façons, au XIIe siècle, au XIIIe, au XIVe. Nous en avons trois remaniements successifs. Au moyen âge, le respect des textes (sentiment d’ailleurs tout moderne) est absolument inconnu. Plus un ouvrage est en faveur, plus on croit devoir le maintenir au goût du jour en le transformant suivant ce goût. De là, double travail des copistes : si le livre est ancien on en rajeunit la langue ; s’il est dans un dialecte différent, on le transpose, bien ou mal, dans le dialecte du scribe.

Ainsi l’auteur anonyme d’une Vie de sainte Catherine déclare avoir suivi et corrigé un texte « normand » en le francisant. « Un clerc, dit-il, l’avait translatée (c’est-à-dire traduite du latin). Mais pour ce que ce clerc était Normand, la rime (le poème) qui fut faite d’abord ne plaisait pas aux Français (aux gens de l’Île-de-France) ; c’est pourquoi un ami me l’a transmise, afin qu’elle fût mise en français (en dialecte de l’Île-de-France). »

Un texte normand déplaisait aux Français ; mais un texte vieilli déplaisait à tout le monde. Voilà pourquoi Saint Alexis fut interpolé au XIIe siècle ; allongé (de 625 vers à 1356) par force chevilles et redites banales ; puis rimé au XIIIe siècle ; puis ramené au XIVe siècle à une forme plus analogue à l’original, au quatrain monorime ; mais cet étranglement d’un texte d’abord tiré en longueur, n’a fourni qu’une rédaction gauche, plate et affreusement prosaïque.


II. — Récits bibliques ; vies des saints.


Récits bibliques. — La poésie narrative religieuse se partage entre trois branches, qui, pour ainsi dire, dérivent l’une de l’autre ;

1o Les récits bibliques ou évangéliques, tantôt d’après les sources canoniques, tantôt d’après les récits apocryphes, presque aussi populaires au moyen âge que les textes canoniques ; et, parmi la foule au moins, presque aussi respectés ;