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d’Euphémien. » On y court, on arrive au moment où Alexis vient d’expirer. Serait-ce lui que la voix désigne ? Le pape arrache de la main du mendiant le papier qu’il a écrit, et toute l’histoire de sa vie est enfin découverte. La douleur des malheureux parents se réveille à cette nouvelle, et le poète a su de nouveau le peindre avec une remarquable vigueur : le père gémit sur sa maison éteinte ; ses grands palais n’ont plus d’héritier ; ses grandes ambitions sont déçues !

« Au bruit du deuil que menait le père, la mère accourut, hors de sens, heurtant ses mains, criant, échevelée ; elle voit ce cadavre, et tombe à terre pâmée ; elle bat sa poitrine ; elle se prosterne ; elle arrache ses cheveux ; elle meurtrit son visage ; elle baise son fils mort, elle le serre dans ses bras. » Il y a des traits humains, vrais et profonds dans la lamentation qu’elle exhale : « Mon fils, comment n’as-tu pas eu pitié de nous !… » L’épouse abandonnée joint ses larmes et ses plaintes à celles des deux vieillards ; elle pleure encore la beauté disparue du jeune époux qu’elle avait aimé, qu’elle a fidèlement attendu. Elle lui jure de nouveau de n’avoir d’autre époux que Dieu. Ainsi dans l’Iliade, Priam, Hécube, Andromaque, Hélène tour à tout s’avancent pour gémir sur le cadavre d’Hector. La même exubérance dans le deuil, les mêmes cris, les mêmes violences, communes à toutes les races jeunes et immodérées, se retrouvent ici dans un cadre bien différent.

Cependant le peuple s’amasse autour du palais ; au bruit qu’un saint vient de mourir, sa joie éclate ; il veut rendre honneur au corps de ce protecteur nouveau de la cité romaine.

Cette fin du poème nous fait comprendre à merveille le rôle du saint dans la vie sociale au moyen âge. Nous n’avons plus l’idée de rien de semblable, aujourd’hui que le sentiment religieux tend de plus en plus à s’enfermer dans la conscience individuelle.

Au Xe siècle, le saint est avant tout un protecteur ; son corps ou ses reliques matérialisent, pour ainsi dire, cette protection. S’en assurer la garde, c’est assurer sa prospérité. De là cet attachement passionné, un peu charnel, à la possession des reliques d’un saint vénéré ; ces luttes pour les disputer ; ces