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(gesta) de beaucoup de saints ; entre autres de saint Wandrille ; les refondit (refudit) en langue vulgaire avec assez d’éloquence (facunde) et en tira des chansons élégantes (cantilenas urbanas) d’après une sorte de rythme tintant (ad quamdam tinnuti rythmi similitudinem). » Cette expression singulière semble désigner le balancement régulier de strophes égales et monorimes[1]. Rien ne prouve que Tedbalt soit l’auteur d’Alexis, rien n’empêche qu’on le lui attribue.

Un prologue en prose, en tête du poème, semble rattacher l’œuvre à la liturgie, à l’office même du saint, et indique, à ce qu’il semble, que le poème était lu (ou plutôt chanté), après cet office, mais probablement dans l’église, et devant le peuple assemblé.

Il s’ouvre par un gémissement du poète sur la décadence de la loi et des mœurs, présage de la fin prochaine du monde :

Bons fut li siecles al tens ancienor,
Quer feit i ert e justise et amor,
Si ert credance, dont or n’i at nul prot.
Toz est mudez, perdude at sa color ;
Ja mais n’iert tels com fut als ancessors[2].

Ainsi ces plaintes sur la corruption du siècle et la décadence de la foi retentissaient déjà au XIe siècle ! En général, les auteurs des vies de saints rimées, comme au reste presque tous les écrivains religieux du moyen âge, sont profondément pessimistes ; très persuadés que le monde va de mal en pis ; et ne comptant guère, pour l’améliorer, sur le bon effet de leurs pieuses compositions. À les entendre, on ne se soucie plus d’admirer les saints, et encore moins de les imiter. Pierre, auteur inconnu d’une Vie de saint Eustache (dédiée probablement à Philippe de Dreux, évêque de Beauvais de 1180 à 1217), se plaint ainsi que les saints deviennent bien rares :

Cui voit on mais si contenir
Qu’on le voie saint devenir ?
Ce souloit on véoir assez
Au tans qui est piéça passez[3] !

  1. Ou plutôt monoassonancées.
  2. « Bon fut le siècle au temps des anciens, — car foi y était, et justice et amour, — croyance aussi, dont maintenant n’y a pas beaucoup. — Il est tout changé, il a perdu sa couleur ; — jamais plus ne sera tel qu’il fut aux ancêtres. »
  3. Vie de saint Eustache. (Paul Meyer, Notices et Extraits des manuscrits, t. XXXII.)