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leur frère Lothaire, venait de gagner sur lui la bataille de Fontanet (841). La guerre n’étant pas terminée, ils se rencontrèrent à Strasbourg le 14 février 842, pour resserrer leur union, et se jurèrent alliance. Afin que les armées présentes fussent témoins de ce pacte solennel, Louis le Germanique jura dans la langue de son frère et des Francs de France, c’est-à-dire en roman français ; Charles répéta la même formule que son aîné en langue germanique. Et les soldats, chacun dans leur langue, s’engagèrent à leur tour[1].

Un historien du temps, Nithard, lui-même petit-fils de Charlemagne par sa mère Berthe, a recueilli ces serments, dont il a peut-être eu l’original sous les yeux, dans son Histoire des divisions entre les fils de Louis le Débonnaire, et comme, en pareille matière, suivant l’observation très judicieuse de M. Pio Rajna, les termes mêmes importaient, il s’est abstenu heureusement de les traduire en latin, langue dans laquelle il écrivait. Nous donnons ci-contre un fac-similé de la page du manuscrit unique (fin du Xe ou commencement du XIe siècle), qui nous a conservé, avec la chronique de Nithard, ces premières lignes écrites de français.

Voici lettre pour lettre, et en laissant subsister les abréviations, la teneur du manuscrit :

Pro dõ amur et p Xpian poblo et nro cõmun saluament dist di en auaut. inquantds sauir et podir me dunat. sisaluaraieo cist meon fradre Karlo. et in ad iudha et in cad huna cosa. sicu om p dreit son fradra saluar dift. Ino quid il mialtresi fazet. Et abludher nul plaid nũquã prindrai qui meon uol cist meonfradre Karle in damno sit…

Silodhuuigs sagrament. que son fradre Karlo iurat conseruat. Et Karlus meossendra desuo partũ lofranit (?). si ioreturnar non lint pois, neio neneuls cui eo returnar int pois, in nulla aiudha contra lodhuuuig nunli iuer.

En voici la lecture, que j’accompagne, pour faciliter la comparaison, de diverses traductions, soit en latin, soit en français.

  1. Voir la bibliographie de ce texte dans Koschwitz : Les plus anciens monuments de la langue françoise, Helbronn, 1886, p. 1, et Commentar zu den ältesten französischen Sprachdenkmütern, p. 2-3.