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chez ses membres la connaissance de plusieurs langues, si précieuse quand il fallait parler à ces populations bigarrées, prit, pour faciliter l’enseignement du dogme et de la morale, une mesure décisive. Elle recommanda de traduire clairement les homélies en allemand et en langue rustique romane, pour que tous pussent comprendre plus facilement ce qui était dit[1].

Cette décision du concile de Tours (813) ne constituait pas une nouveauté[2] ; elle ne faisait sans doute qu’autoriser et généraliser une pratique que beaucoup de prêtres devaient suivre déjà : si elle a été prise, c’est qu’il devenait alors nécessaire de se prononcer ; les langues romanes étaient déjà très loin du latin, et la renaissance des lettres, qui épurait celui-ci, élargissait de jour en jour le fossé. Or, tandis que la liturgie ne pouvait sans danger abandonner l’usage d’une langue universelle et bien réglée, les besoins de la prédication exigeaient l’emploi des idiomes locaux ; le clergé, un peu plus instruit, redevenu capable de distinguer latin et roman, pouvait hésiter et avait besoin d’être fixé. Le concile régla la question. Quoi qu’il en soit, ni des homélies qui ont précédé, ni de celles de cette époque, rien ne nous est parvenu.

Les Serments de Strasbourg. — En revanche nous avons de l’an 842 un texte précieux, dont les premiers philologues qui se sont occupés de l’histoire de notre langue avaient déjà aperçu toute la valeur, c’est celui des Serments de Strasbourg[3].

On sait dans quelles circonstances ces serments furent échangés. Deux des fils de Louis le Pieux († 840), Louis le Germanique et Charles le Chauve, révoltés contre les prétentions de

  1. XVII : Visum est unanimitati nostræ… ut easdem homilias quisque aperte transferre studeat in rusticam Romanam linguam, aut in Theotiscam, quo facilius cuncti possint intelligere quæ dicuntur. Les capitulaires de Charlemagne contenaient aussi des prescriptions analogues.
  2. Silvia, dans le curieux voyage aux Lieux Saints dont j’ai parlé plus haut, nous raconte comment l’évêque était assisté d’un interprète, qui traduisait en syriaque le sermon fait par l’évêque en grec (éd. Gamurrini, p. 172). La question de savoir si l’Église primitive officiait seulement en latin et en grec, ou aussi dans les idiomes des peuples qu’elle catéchisait, a fait au XVIe et au XVIIe siècle l’objet de vives polémiques entre les protestants et les catholiques.
  3. Ces premiers textes ont été reproduits en fac-similé par la photogravure dans un Album publié par la Société des anciens textes français ; Paris, Didot, 1875. Les impressions et les commentaires sont très nombreux. Voir en particulier Koschwitz, Commentar zu den ältesten französischen Sprachdenkmälern, Heilbronn., 1886.