Page:Petit-Breton - Comment je cours sur la route, 1908.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 29 —

chatterton. Alors on ne craint plus rien… qu’une autre crevaison. Et l’on a espoir de rejoindre le peloton.

Il ne faut pas se lancer comme un fou à la poursuite des leaders. Il faut marcher régulièrement, toujours.

Parfois j’ai couru plus de vingt minutes, une demi heure après les disparus. Imaginez-vous que j’aie exécuté un sprint formidable, que serait-il advenu ? Au bout de quelques kilomètres j’étais irrémédiablement battu, et au lieu de rejoindre mes hommes, d’autres, très certainement, profitant de mon moment de faiblesse, m’eussent rejoint.

Ce n’est pas cela que je faisais.

Aussitôt la réparation effectuée, sans m’occuper de ceux que je rencontrais en cours de route, je marchais au train, à un train dur, mais excessivement régulier. J’avais eu le soin d’observer, tandis que je réparais, tous ceux qui me passaient. Je connaissais donc à peu près leur position vis-à-vis de la mienne, aussi la distance qui les séparait les uns des autres, et je ne donnais le dernier coup de collier, le coup de collier décisif, que lorsque j’avais acquis la certitude que les derniers de ceux que je poursuivais ne pouvaient être loin.

J’ai crevé quatorze fois dans le Tour de France. J’ai rattrapé les quatorze fois, parfois un peu tardivement comme à Bordeaux ou a Roubaix, mais, somme toute, jamais je n’ai manqué à une arrivée.

Je ne suis pas partisan des longues côtes, mais j’ai la consolation de penser que nombre de cyclistes sont comme moi ; je préfère de beaucoup les côtes très rapides mais courtes.

Je ne suis pas l’homme du Ballon d’Alsace que Garrigou peut aisément monter plus vite que moi. Je ne suis pas non plus celui du Col de Porte que Passerieu a grimpé splendidement cette année, encore que nous eûmes à rouler dans plus de dix centimètres de boue ; j’aime mieux l’Estérel qui convient mieux à mon genre de beauté.