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d’un sommeil qui, peut-être, lui redonnerait la force de subir les épreuves qui l’attendaient…

Pourtant, à la fin, son angoisse devint trop forte. Il se leva, se pencha, écouta, posa ses doigts sur la joue, sur le cou découvert par la chemise de nuit au grand col à volants de nansouck…

Suzanne respirait ; elle était tiède : elle vivait, elle dormait. Alors, soulagé, Robert traîna un fauteuil près du lit avec précaution et s’assit doucement, les yeux attachés sur elle. À cet instant, tout ce qui n’était pas cette frêle créature avait versé pour lui dans un vague chaos… elle, sa souffrance, son martyre… elle, pauvre petite !… Ah ! il l’aimait aujourd’hui d’un amour incommensurable… où une pitié, un remords s’implantaient, grandissaient, venaient submerger les autres sentiments d’amour, d’admiration, de désir qui, naguère, se partageaient son cœur…

— Suzanne ! ma pauvre, ma bien chère Suzanne, prononça-t-il avec une infinie compassion, avec la persuasion que jamais il n’avait aimé pareillement aucun autre être.

Et néanmoins il se passait en lui ce phénomène qu’à cette heure où il croyait son amour pour elle décuplé, fortifié par les sentiments nouveaux qui l’avaient envahi, son amour passionnel venait précisément de sombrer.

Elle dormait, immobile, prostrée, et, dans sa pose, sur son visage, Robert découvrait une autre femme. La puérilité, la tendresse, la gaieté, l’amour, tout avait disparu de ces traits détendus, pâles, à l’expression lasse et désabusée, de ces traits où venaient de s’imprimer pour la première fois les stigmates indélébiles des tortures et des terreurs qui créent la femme, la mère en l’amoureuse et l’amante.

Elle n’était plus, elle ne serait jamais plus la fleur d’amour et de désir, un être presque immatériel que seules jusqu’alors les préoccupations intellectuelles avaient